Christine Clerc : «À 74 ans, Jean-Luc Mélenchon ne veut toujours pas prendre sa retraite»
Christine Clerc est journaliste. Dernier livre paru : Domenica la diabolique (Éditions de l’Observatoire, 2021).
C’était mardi. Jean-Luc Mélenchon fêtait ses 74 ans. Curieusement, personne, parmi les militants et les dirigeants de son mouvement La France Insoumise, pas même les deux trentenaires Manuel Bompard et Mathilde Panot, promus par lui et entièrement dévoués à sa cause, ne songeait à le lui souhaiter. Personne n’aurait osé non plus lui faire remarquer qu’il rejoignait ainsi par l’âge Michel Barnier, 74 ans depuis le 9 janvier, et François Bayrou, 74 ans depuis le 25 mai.
Passer la publicitéIl est vrai que ces deux vétérans de droite et du centre n’ont pas renoncé, après plus de 50 années d’une vie politique qui les a menés dès l’âge de vingt ans à être élus municipaux, députés, maires, ministres, et enfin premiers ministres, à poursuivre leur cursus. L’un est à Matignon peut-être jusqu’à l’automne, l’autre fait campagne à Paris pour s’y faire élire bientôt, en dépit de Rachida Dati mais avec l’appui de LR, à une législative partielle dans la deuxième circonscription. Tous deux conservent, chacun dans sa région d’origine, des fidèles de pères en fils et de mères en filles dont ils connaissent les enfants et petits-enfants et dont ils partagent l’accent et les traditions. On se souvient du «raté» de Bayrou qui, à peine nommé premier ministre, s’envolait, en pleine crise de Mayotte, vers sa ville de Pau afin d’y présider un conseil municipal. La presse nationale s’en moqua ou s’en choqua, mais nombre d’électeurs de sa région, si fiers et contents d’avoir élevé un premier ministre, lui surent gré de sa fidélité…
Rien de tel chez Mélenchon. Est-ce, comme il aime à le rappeler, parce que, fils de «pieds noirs», né au Maroc, il n’est arrivé en France qu’à l’âge de dix ans ? Ou tout simplement parce que l’implantation régionale ou locale, c’est-à-dire la gestion d’une ville ou d’un département, avec ce que cela suppose de fastidieuses visites de terrain, d’écoute des plaintes et revendications et de longues réunions pour discuter du budget des écoles, de l’agrandissement d’un hôpital voire même de la réfection d’une église lui paraissent être le comble de l’ennui ? Jean d’Ormesson, à qui l’ancien professeur d’histoire dans le Jura, devenu un élu socialiste en quête de réputation culturelle, faisait sa cour en venant l’attendre devant son bureau du Figaro, lui voyait un «destin singulier». François Mitterrand, dont il aurait tant aimé devenir, au moins une fois en quatorze années de règne, l’un des ministres voire sous-ministres, lui disait, d’ailleurs avec sympathie : «Marchez votre chemin, Monsieur !» Mais Mélenchon dut attendre l’élection de Jacques Chirac à l’Élysée et la nomination de Lionel Jospin à Matignon, à la tête d’un gouvernement de cohabitation, pour devenir enfin «ministre délégué à l’Enseignement professionnel». Sans laisser de trace. «Bah oui, commente-t-il quand il est de bonne humeur, j’ai été parachuté partout !» Il pourrait aussi, plagiant le général de Gaulle, lancer à ceux qui le suspectent toujours de vouloir prendre le pouvoir par la force : «Pourquoi voulez-vous qu’à 74 ans j’entame une carrière de dictateur ?».
Il y a quelques semaines, et alors que la presse, après avoir moqué son goût pour les voyages en classe Affaires, révélait son patrimoine de 1,4 million d’euros comprenant un appartement à Paris, une maison dans le Loiret et divers comptes en banque dont les revenus s’ajoutent à ses retraites d’élu communal et de sénateur (plus de 8 000 € par mois), il convenait modestement : «Je suis conscient d’être riche». Il laissait même entendre qu’il serait peut-être temps pour lui de jouir d’une retraite dorée en soutenant la candidature présidentielle de l’un de ses bons élèves. Après tout, on ne peut pas dire qu’il ait cherché à se faire une place dans une ville ou une région. Élu député des Bouches-du-Rhône en 2017 - après avoir bu en 2012 la honte d’être écrasé dans le Nord-Pas-de-Calais (à Hénin-Beaumont) par Marine le Pen -, il allait s’apercevoir cinq ans plus tard que «la greffe n’avait pas pris». La gestion locale voire régionale, au fond, n’est pas son truc. Son domaine, fait-il croire, c’est la vision à long terme. Et l’international. Il y a quelques semaines, il allait jusqu’à lâcher sur Twitter : «Je souhaite être remplacé» ! Pourtant, il se gardait bien de partir tout l’été en vacances dans l’une de ses destinations préférées comme le Brésil ou le Venezuela, dont le président Nicolás Maduro, longtemps un ami, est désormais inscrit sur la liste noire de l’Union européenne pour «répression et atteintes aux droits de l’homme».
Non. Pas de vacances lointaines. Il s’agit de préparer la rentrée, et d’abord la manifestation et la grève générale du 10 septembre sous le titre «Bloquons tout !» Le seul objectif de Mélenchon, l’inépuisable partisan de la retraite à 60 ans, reste toujours de gagner de nouveaux électeurs, désormais en majorité d’origine immigrée, afin d’améliorer son score national, passé de 11% des voix en 2012 au temps du Front de gauche uni à 19,6 % sous la nouvelle bannière LFI en 2017 puis à 21,95 % en 2022, avec 400 000 voix de moins seulement que Marine le Pen. Mais comment espérer l’emporter, à 74 ans, avec moins d’expérience de gestion d’une ville ou d’une région que tant de concurrents cinquantenaires ? Il lui faudra savoir, plus que jamais, déchaîner les passions. C’est le rêve de Mélenchon.