Les coopératives agricoles et la souveraineté alimentaire

Gérard Le Puill
Depuis trois ans la « souveraineté alimentaire » figure noir sur blanc dans la fonction du ministre de l’Agriculture en France. Mais cette souveraineté continue de reculer comme l’on montré le 10 juin des éleveurs de quatre filières de production. Ils s’exprimaient au nom des coopératives agricoles qui transforment et vendent la production des leurs adhérents aux distributeurs.

Eleveurs de bovins, d’ovins, de porcs et de volailles, ils sont aussi des militants coopérateurs dont les viandes sont commercialisées par leur coopérative agricole. Ils ont tenu une conférence de presse le 10 juin à Paris. Le dossier remis aux journalistes à cette occasion indique que «notre souveraineté alimentaire se dégrade progressivement: les importations représentent 25% de la viande bovine consommée en France, 60% de la viande ovine, 41% des volailles de chair, dont un poulet sur deux, et 16% de la viande porcine. Précisons toutefois que ces pourcentages de produits carnés importés ne doivent pas être vus comme étant la représentation chiffrée du déficit de notre balance commerciale dans chacune de ces filières. Car la France exporte aussi de la viande bovine et des jeunes bovins vivants connus sous le nom de « broutards » pour être engraissés en Italie en Espagne, en Grèce et au Proche Orient. Notre pays exporte également de la charcuterie porcine et des viandes de volailles, à commencer par celles des palmipèdes à foie gras, bien que ces exportations aient été perturbées ces dernières années par la maladie contagieuse connue sous le nom d’influenza aviaire.
Selon Bruno Colin, producteur de lait de vache et de bovins allaitants en Lorraine, la France fournit actuellement la viande la moins chère d’Europe dans les enseignes de la grande distribution. Mais c’est globalement au détriment des éleveurs, même si les prix ont augmenté ces derniers mois suite à plusieurs années de décapitalisation qui se sont traduites par un recul de 10% du nombre de vaches reproductrices depuis 2017 en France. Ce recul de la production a débouché sur une hausse des cotations hebdomadaires dans les salles de marché. La vache de réforme de race charolaise cotait 6,40 euros le kilo de carcasse le 2 juin dernier à Cholet, contre 5,30 un an plus tôt. Cette hausse ne doit donc rien aux trois versions de la loi Egalim, votées par le Parlement depuis 2018 et à laquelle les éleveurs coopérateurs n’ont jamais fait référence au cours de leur conférence de presse.

Plus d’un agneau sur deux consommé en France est importé

Eleveur de porcs dans le Finistère, et président national de l’interprofession porcine, Philippe Bizien a précisé qu’actuellement 40% des porcs élevés en France sont détenus par des éleveurs de plus de 55 ans. Dans cette production, la balance commerciale de la France se dégrade lentement depuis des années et connait désormais un léger déficit. Mais investir dans un élevage porcin est de plus en plus compliqué en France. Les procédures sont longues pour obtenir le droit de créer une porcherie alors que le nombre moyen de reproductrices est de 200 truies par exploitation chez nous, mais jusqu’à 3.000 en Espagne, où la nourriture des porcs est surtout importée d’Amérique du sud.
Dans la filière ovine, François Monge, président de coopérative, éleveur dans le département de la Drôme et vice président de la fédération nationale ovine, a expliqué la présence de nombreuses meutes de loups dans ce département alpin n’en finit pas de compliquer la vie des éleveurs. Au point que les naissances d’agneaux sont en baisse de 10 à 15% désormais pour un même nombre de brebis qu’il y a quelques années. Pire encore, trois éleveurs se sont suicidés dans ce département après plusieurs attaques des prédateurs contre leurs troupeaux. Alors que chaque Français consomme en moyenne moins de deux kilos de viande ovine par an, plus de 50% de cette viande consommée en France est importée désormais. Les principaux pays qui nous exportent leurs viandes ovines sont l’Irlande, le Royaume Uni, la Nouvelle Zélande et l’Australie. Aucun de ces pays ne compte un seul loup sur son territoire, ce qui donne aux éleveurs de ces pays un avantage de compétitivité par rapport à leurs homologues français qui doivent acheter des enclos pour le parcage de nuit des brebis , acheter et nourrir des chiens de protection pour tenter d’éloigner les meutes de loups sans y parvenir dans bien des cas.
Eleveur de volailles fermières en Label Rouge dans le Gers, après avoir élevé des palmipèdes à foie gras durant des années, François Lacome est président de la section volaille de la coopérative Euralis .Il a insisté sur les fait que les crises sanitaires dont l’influenza aviaire compliquent la vie des éleveurs de volailles ces dernières années. Alors que cette maladie se propage désormais aux Etats Unis, François Lacome a indiqué que la douzaine d’œufs de poule se vendait actuellement 12€ au pays de Donald Trump contre moins de 3 euros en France en entrée de gamme et autour de 3,50 euros en Label Rouge.

Une loi Egalim sans influence dans les salles de cotation

Il y avait chez ces paysans coopérateurs une volonté sincère de bien produire et de contribuer à la souveraineté alimentaire de la France. Mais il est aussi apparu qu’ils n’ont jamais cru à la prise en compte de l’évolution des coûts de production telle que formulée dans les trois versions de la loi Egalim, concernant la fixation des prix agricoles en France. Ces paysans militants, qui commercialisent leurs viandes via l’activité commerciale de leurs coopératives, semblent aussi être durablement influencés par ce que l’on nomme « la loi de l’offre et de la demande » au moment de la fixation des prix. Pourtant, cette fixation spéculative des prix débouche souvent sur des situations paradoxales. En 2022 quand le maïs, qui entre dans l’alimentation des porcs, cotait plus de 300 euros la tonne, le kilo de carcasse de porc charcutier cotait entre 1,20 et 1,30 euros à Plérin dans les Côtes d’Armor. Le 2 juin dernier alors que la tonne de maïs cotait 171euros à Creil, le kilo de carcasse de porc cotait 1,79 euros à Plérin, tandis qu’il atteignait 2,27 euros en Espagne. Entre ces deux dates, la décapitalisation pour cause de prix trop bas et les ravages de la peste porcine africaine dans plusieurs pays européens ont fait remonter les prix.
Curieusement, les paysans coopérateurs qui se sont exprimés lors de cette conférence de presse semblaient admettre cette manière de fixer les prix payés aux éleveurs. Peut-être faut-il voir là l’influence des financiers qui gèrent les coopératives agricoles.

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