La galerie Ropac s’implante à Milan
Alors que l’Italie des musées se ferme peu à peu aux directeurs étrangers sous l’impact de la politique nationaliste de Giorgia Meloni, la galerie de Thaddaeus Ropac, l’Autrichien de Paris, fait le pari inverse et mise sur l’Italie. En 2021, ce travailleur acharné au flegme légendaire ouvrait un sixième espace en Corée à Séoul dans cette vague qui porte la Corée du Sud au cœur du marché de l’art international. Cette fois, c’est en Europe qu’il se concentre et annonce ce matin l’ouverture, à l’automne 2025, d’un septième espace à Milan, dans le Palazzo Belgioioso, à proximité de la Scala (Thaddaeus est un fou d’opéra et un fidèle du festival de Salzbourg) et de la Via Monte Napoleone. Un espace prestigieux de 280 m2 à l’étager noble qui donne sur la Piazza Belgioioso où la sculpture de ses artistes devrait trouver sa place.
Ce globe-trotter de l’art revient tout juste de Saint-Moritz, haut lieu de la jet set en Suisse, où il a ouvert avec un succès un «Pop up space» pour les fêtes des «happy few» avec une exposition consacrée au sculpteur Hans Josephsohn. Pourquoi l’Italie ? «J’ai toujours voulu avoir la galerie européenne par excellence. Je suis d’abord un Européen, nous répond-il avec son enthousiasme coutumier. Nous avons nos quartiers à Londres, à Paris, dans la sphère germanophone avec Salzbourg. Après notre installation à Séoul, nous réfléchissions à un nouveau lieu. L’Italie nous manquait. Or l’Italie est le pays au cœur des avant-gardes du XXe siècle. Avant et après la Seconde guerre mondiale».
Sa directrice sera Elena Bonanno di Linguaglossa qui a vécu entre Italie, Autriche et Royaume-Uni, et cumule déjà 25 ans d’expérience dans le marché de l’art, notamment à la galerie new-yorkaise Lévy Gorgy Dayan. Elle fut par ailleurs professeur invitée à l’ Istituto Europeo di Design de Rome. Son équipe sera italienne, voire milanaise. « Comme à Séoul, nous prendrons le temps d’intégrer la galerie dans l’infrastructure culturelle existante. Il n’y a que deux conditions sine qua non, un grand lieu et une personne de grande qualité. Tout le reste se construit autour, peu à peu». L’ouverture, après travaux de restauration et d’aménagement du bâtiment historique, sera au plus tard en septembre 2025.
Pourquoi Milan ? « Nous avons pensé à Rome, la ville éternelle à la beauté sans pareille, et à Venise , la ville des biennales que nous connaissons bien, dont nous savourons la beauté absolue d’opéra, mais au rythme plus saisonnier. Milan s’est imposé par la vivacité de sa scène artistique. Sa dynamique culturelle en matière contemporaine s’est beaucoup développée ces dernières années. Son académie est des plus intéressante. Ses institutions nous seront proches : la Pinacoteca di Brera, le Palazzo Reale qui repense l’organisation de ses collections, le Museo del Novecento et le nouveau musée d’art contemporain au Palazzo Citterio qui s’est ouvert, il y a trois mois. Ses fondations privées comme la Fondation Prada avec laquelle nous avons montré Tom Sachs ou Donald Judd. Ses collectionneurs sont parmi les plus sophistiqués. Les artistes y vivent nombreux, comme par exemple Maurizio Cattelan». Être là où vivent et travaillent les artistes, c’est essentiel ».
Cinquante vernissages par an
Pourquoi se redéployer encore, alors que la crise menace le marché de l’art ? « Ce n’est pas une nécessité, mais une opportunité. Nous nous développons de façon organique. Ce n’est pas une question de business, il ne vient qu’en second plan. Nous devons aller dans les villes où nos artistes se sentiront inspirés. Beaucoup de nos artistes ne sont pas représentés en Italie en général et à Milan en particulier. Nous voulons explorer la scène italienne et locale, comme nous l’avons fait à Séoul en mesurant l’importance de sa scène historique et contemporaine. C’est, à mon sens, un pari gagnant- gagnant ». L’équipe de Séoul compte une douzaine de personnes, non européennes. «À Londres, nous avons commencé par une équipe de même taille. Aujourd’hui, elle compte 25 personnes», explique Thaddaeus Ropac dont l’empire regroupe désormais 150 personnes à travers le monde. Le défi sera «d’assister au plus de vernissages possibles» de ses artistes à travers le monde. Avec 5 à 7 expositions par an et par espace, on approche de la cinquantaine !
N’est-ce pas nager contre la marée alors que les musées italiens chassent leurs directeurs étrangers ? « Ce n’est pas un geste stratégique imposé par la nécessité de grandir et de se développer, c’est une intuition qui m’est venue en promenant avec feu Germano Celant qui m’a dévoilé tous les recoins historiques, parfois minuscules, de l’Arte Povera. Plus est fort le rejet de la culture étrangère, plus sera intense la réponse des artistes, j’en suis intimement convaincu. Le monde de l’art contemporain est différent de ce point de vue des institutions plus classiques de collections et de pratiques. Si le contexte politique actuel me surprend, si j’estime qu’il entraîne une perte de grands intellectuels et de grands talents pour l’Italie, les artistes seront là pour prendre le relais », nous répond Thaddaeus Ropac qui, malgré son allure d’éternel jeune homme, peut afficher ses 43 ans de galeriste, ses 35 ans à Paris, ses 13 ans à Pantin et ses 9 ans à Londres.
Le printemps 2025 sera l’occasion de célébrer le centenaire de l’artiste américain Robert Rauschenberg (1925-2008), notamment avec une rétrospective au Museo del Novecento.