Décès d’Oliviero Toscani, le brigand de la photographie de mode
Peu de photographes de mode ont autant fait parler dans le monde. Le photographe milanais, Oliviero Toscani, est mort à Livourne ce 13 janvier à l’âge de 82 ans d’une maladie neurodégénérative, l’amylose. Il s’est fait connaître par ses campagnes de publicité pour la marque Benetton qui, dans les années 1980 et 1990, faisaient débat tant elles cherchaient à choquer pour éveiller les consciences. On se souvient, entre autres, de la bonne sœur en cornette embrassant sur la bouche un prêtre à chapeau en 1991 qui a scandalisé le Vatican. Ou l’année suivante, d’un malade du sida en Christ mourant entouré de ses parents grassouillets.
Fils d’un reporter photo du Corriere della Sera, Oliviero n’avait pas voulu faire du journalisme, choisissant dans les années 1970 la photo de mode pour les magazines et les maisons de couture. Dès 1972, un premier cliché de génie fait sa notoriété dans le monde de la mode : un gros plan sur une paire de fesses moulées dans un short en jean, barrées d’un « Qui m’aime me suive » pour la marque Jesus Jean. Mais c’est grâce à sa rencontre en 1982 avec l’entrepreneur Luciano Benetton qu’il trouvera véritablement sa voie. Et que, devenu directeur artistique de Benetton, il introduira dans les années 1980 et 1990 une véritable révolution dans la publicité.
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Lutte contre le racisme
Sa première campagne pour la marque de pull-overs, un panneau couvert de dizaines de visages de garçons et filles souriants de toutes ethnies, lancera « Toutes les couleurs du monde », qui deviendra plus tard le slogan phare « United Colors for Benetton ». Cette campagne de lutte contre le racisme lui vaudra tant de prix internationaux qu’elle marquera le début d’une révolution dans la publicité, qui se détourne alors des produits pour ne plus afficher que les valeurs soutenues par la marque. Oliviero Toscani fut le premier directeur artistique à se servir d’une marque pour dénoncer les plaies ouvertes de la société.
D’abord pour défendre des causes, notamment contre le racisme ou les conflits, sur un mode positif. À la fin de la guerre froide en 1985, un Russe blanc et un Noir américain dans un même pull. En 1986, un juif orthodoxe avec papillotes et chapeau traditionnel et un Palestinien couvert d’un keffieh se tenant comme des frères. En 1991, alors que l’épidémie de sida fait des ravages, des préservatifs colorés flottant comme des cerfs-volants. Si ses photos font le succès de la marque Benetton, dans les années 1990, ses campagnes, portées par une intuition aiguë des malaises qui traversent la société occidentale et un sens non moins affûté de la provocation, se font de plus en plus dures, voire choquantes.
Au point que plus que subversif, il ne craint pas de mettre en scène la mort inacceptable et proprement insupportable. En 1992, David Kirby mourant du sida, avec un visage christique, entouré de ses parents pleurant. En 1994, un soldat bosniaque dans la guerre au Kosovo dont il ne reste que le pantalon et le tee-shirt maculés de sang. Jusqu’en 2000 où, dénonçant la peine de mort qui sévit aux États-Unis, il montre quatre visages de condamnés à mort. Une ligne rouge franchie qui lui vaut des poursuites de l’État du Missouri, et la fermeture de 400 points de ventes Benetton aux États-Unis, ce qui mettra fin à leur collaboration. Et qui lui vaudra beaucoup d’ennemis dans le monde de la photo.
Je déteste la photographie artistique. La photo devient de l’art lorsqu’elle provoque une réaction en nous, que ce soit de l’intérêt, de la curiosité ou de l’attentionCe faisant, en combinant promotion et scandale, mode et politique, Oliviero Toscani a créé un nouveau type de communication émotionnelle usant les codes de la mode, et portée par des campagnes d’affichages massives, au service d’une ambition civile et politique. « Je déteste la photographie artistique, disait-il en 2010. La photo devient de l’art lorsqu’elle provoque une réaction en nous, que ce soit de l’intérêt, de la curiosité ou de l’attention. » En insufflant toujours plus de défense des valeurs dans le marketing, il a définitivement embarqué la publicité dans l’éthique. Et même inventé un concept que l’on appellera le « shock advertising », soit utiliser un sujet qui choque pour vendre. Néanmoins, alors que le politiquement correct gagnait du terrain, peu de marques suivront ce mouvement. Oliviero Toscani restera l’homme d’une époque.
Après sa collaboration avec Benetton (qu’il reprendra de 2018 à 2020 jusqu’à ce qu’il provoque à nouveau son client en lançant un « mais qui se soucie de la chute d’un pont, arrêtez là » à propos de la catastrophe du pont Morandi à Gênes), il poursuivra quelques combats : comme en 2007, lorsqu’il dénoncera l’anorexie des mannequins, dans sa campagne Nolita, mettant en scène les images très crues de l’actrice française Isabelle Caro, qui pesait 31 kilos. Il dénonce ainsi l’état de fragilité et de souffrance auquel les soumettent les exigences des maisons de mode. « On vit dans une société qui admet les discriminations physiques. Regardez les journaux féminins : ils sont faits par des femmes qui habillent leurs mannequins comme elles habillaient leurs poupées », déplorait-il dans un entretien accordé au Figaro en 2015.
S’il était provocateur, voire volontiers blasphématoire, s’il a eu des intuitions qui ont nourri ses coups d’éclat médiatiques et ont beaucoup fait parler, Oliviero Toscani n’était pas pour autant le défenseur d’une idéologie structurée. Il a fait un peu de politique, mais n’a jamais réussi à se faire élire. Et continuait dans les dernières années de sa vie à susciter de nombreuses poursuites et quelques condamnations pour diffamation.