Mort de Mohamed Lakhdar-Hamina, réalisateur de "Chronique des années de braise", unique Palme d'or africaine, célébré cette année, cinquante ans plus tard au Festival de Cannes

Thierry Frémaux ne savait pas quand il a rendu hommage à Mohamed Lakhdar-Hamina cet après-midi que celui-ci allait quitter ce monde. Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar-Hamina est une fresque épique de près de trois heures qui a "marqué l'histoire du festival", estimait Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. Le réalisateur était âgé de 91 ans. Il était scénariste, acteur et avait réalisé sept longs-métrages. Franceinfo Culture a eu la confirmation du décès du réalisateur par son distributeur Jean-Fabrice Janaudy, gérant de Les Acacias.

Très âgé, le réalisateur algérien n'avait pas pu se déplacer à Cannes cette année. Pour le représenter, son fils Malek, qui jouait un enfant dans le film. Visiblement ému, il a salué le "courage" du festival pour avoir programmé le film. "Un hommage fort et sincère". "À travers ce film, Mohamed Lakhdar-Hamina a tendu la main pour rassembler et non diviser. Il a fait du cinéma une terre d'accueil", observe-t-il.

Le réalisateur algérien Mohamed Lakhdar-Hamina félicité par l'actrice américaine Ann-Margret après avoir reçu la Palme d'or pour son film "Chronique des années de braise", le 24 mai 1975, lors de la cérémonie de clôture du 28e Festival de Cannes. (RAPH GATTI / AFP)
Le réalisateur algérien Mohamed Lakhdar-Hamina félicité par l'actrice américaine Ann-Margret après avoir reçu la Palme d'or pour son film "Chronique des années de braise", le 24 mai 1975, lors de la cérémonie de clôture du 28e Festival de Cannes. (RAPH GATTI / AFP)

Présent aussi pour le lancement, le comédien, rappeur et producteur Sofiane Zermani. "L'héritage de Mohamed Lakhdar-Hamina appartient à tous. Je suis fier d'être ici. Chronique des années de braise est un cri d'humanité, un morceau de l'histoire, la voix de nos grands-parents, une lumière et un pont entre les deux rives", dit-il. Cette projection intervient au moment où les relations entre l'Algérie et la France sont au plus bas.

À ce jour, Chronique des années de braise est l'unique Palme d'or africaine. Elle a atteint l'honorable âge de 50 ans. C'était en 1975, lors de la 28e édition, que la présidente du jury, Jeanne Moreau, a remis le sacre au jeune cinéaste d'une quarantaine d'années, déjà distingué huit ans plus tôt pour son long-métrage Le Vent des Aurès, Prix de la première œuvre. Parmi les autres sélectionnés : Scorsese, Herzog, Antonioni ou encore Costa-Gavras. Mohamed Lakhdar-Hamina en est alors à son quatrième long-métrage.

Les raisons de la colère

Le film s'ouvre sur une Algérie rurale, dans les Aurès, confrontée à une terrible sécheresse. Le bétail meurt de soif, les récoltes sont grillées par le soleil. Les choix qui s'offrent aux villageois sont déchirants : rester et mourir à petit feu, s'engager dans l'armée française ou s'exiler. Hamid, enrôlé dans l'armée française durant la Seconde Guerre mondiale, (re)découvre à son retour un pays en colère, prêt à s'embraser.

"C'est un film contre l'injustice, contre l'humiliation. Ce qui domine, c'est la motivation de la guerre d'Algérie. Pour les jeunes qui n'ont pas connu cette époque, ça les aidera à la comprendre. Les plus âgés reconnaîtront l'authenticité des faits relatés", expliquait le réalisateur.

Scène du film "Chronique des années de braise" de Mohamed Lakhdar-Hamina. (LES ACACIAS)
Scène du film "Chronique des années de braise" de Mohamed Lakhdar-Hamina. (LES ACACIAS)

Cette fresque, qui court de 1931 à 1954, est divisée en six chapitres : Les Années de cendre (la sécheresse, la misère et l'abandon de la terre par les paysans), L'Année de la charrette (la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences sur le pays), Les Années de braise (à la fin de la guerre, la flambée de conscience politique contre le colonisateur), L'Année de la charge (les élections de 1947, le choix entre le légalisme et le soulèvement), Les Années de feu (la révolte dans les campagnes, l'organisation des maquis) et Le 1er novembre 1954 (la révolte qui devient révolution).

Pour l'histoire, lors de sa présentation à Cannes en 1975, des militants de l'OAS (Organisation de l'armée secrète) sont soupçonnés d'avoir voulu perturber le festival en multipliant de fausses alertes à la bombe.

Dans cette version restaurée, conforme à la copie originale, se dégagent un souffle historique et une empathie encore puissants.

La fiche

Titre original : Ahdat Sanawovach El-Djamr

Langue : arabe sous-titré en français

Durée : 2h57

Réalisation : Mohamed Lakhdar-Hamina

Scénario : Rachid Boudjedra, Tewfik Fares

Distribution : Yorgo Voyagis, Mohamed Lakhdar-Hamina, Leila Shenna

Sortie en salles : 6 août 2025

Synopsis : Chronique événementielle de l'histoire de l'Algérie de 1939 à 1954, date du déclenchement de la lutte armée. Le film s'articule autour de deux axes fondamentaux : l'expropriation des terres et la déculturation. Il montre en quoi le 1er novembre 1954 est l'aboutissement de la lutte multiforme du peuple algérien pour résister à la colonisation, depuis ses débuts.