Affaire P. Diddy : Donald Trump peut-il gracier le rappeur s'il est condamné ?

Une issue très politique à un procès très médiatique ? En conférence de presse, vendredi 30 mai, Donald Trump n'a pas rejeté l'idée d'une grâce présidentielle à l'égard de Sean Combs, mieux connu sous le nom de P. Diddy. L'artiste américain, figure éminente du rap américain, est jugé à New York pour trafic à des fins d'exploitation sexuelle, transport de personnes à des fins de prostitution, mais aussi pour entreprise criminelle. Accusé de violences, de corruption ou encore d'enlèvement, il encourt la prison à perpétuité. 

Interrogé sur la possibilité de le gracier, le président des Etats-Unis a déclaré que "personne ne l'a demandé", avant de poursuivre : "Mais je sais que des gens y pensent. Je pense que certains ont failli faire cette demande." Le dirigeant américain pourrait-il y répondre favorablement ? "J'examinerais les faits", a rétorqué Donald Trump, ajoutant qu'il n'avait pas parlé "depuis des années" à Sean Combs.

Les deux hommes se sont croisés au fil des années 1990, rappelle The New York Times. Le magnat de l'immobilier a salué "l'immense talent" de l'artiste, tandis que Sean Combs a évoqué, pas plus tard qu'en 2015, "un ami" et "un homme qui travaille dur". P. Diddy a néanmoins pris ses distances depuis, soutenant le démocrate Joe Biden pour la présidentielle de 2020. "Si je pense que quelqu'un a été injustement traité, qu'il m'aime ou qu'il ne m'aime pas n'aurait aucun impact sur moi", a justifié Donald Trump.

Une éventualité permise par la Constitution

Légalement, rien n'empêche Donald Trump de gracier Sean Combs s'il est condamné pour entreprise criminelle et trafic sexuel. La Constitution américaine octroie en effet un vaste pouvoir de grâce aux locataires de la Maison Blanche. Selon l'article 2, le président "a le pouvoir d'accorder des sursis et des grâces pour des infractions contre les Etats-Unis, sauf en cas de destitution".

Comme l'explique le Congrès américain, la notion d'"infractions contre les Etats-Unis" implique que les grâces ne s'appliquent pas aux poursuites judiciaires civiles ou aux condamnations à l'échelle d'un Etat américain. "Le président américain est le chef de l'exécutif fédéral, les grâces présidentielles s'appliquent donc aux peines prononcées par des instances fédérales", précise l'historienne Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis. Sean Combs étant jugé au tribunal fédéral de Manhattan, il pourrait en principe faire l'objet d'une grâce présidentielle.

"La limite, c'est que l'on est dans le cadre de l'interprétation de la Constitution, poursuit la chercheuse de la Fondation Jean-Jaurès. La Cour suprême pourrait dire qu'une grâce présidentielle est allée trop loin, mais si l'on regarde les interprétations récentes, on ne s'attend pas à observer de limites."

"En l'état actuel des choses, le pouvoir de grâce du président Trump est plus ou moins absolu." 

Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

"C'est un pouvoir très large donné au président par la Constitution", confirme la spécialiste du droit américaine Bernadette Meyler. "C'est l'un des rares pouvoirs à ne pas être vraiment partagés entre le président et le Congrès", développe la professeure à l'université de Stanford. Et pour la spécialiste, tout type de crime passé peut faire l'objet d'une grâce.

Des partisans de Donald Trump déjà graciés

A ce stade, il est difficile de dire si Donald Trump usera de ce pouvoir au bénéfice de Sean Combs. Lors de son investiture le 20 janvier, le président républicain a gracié plus de 1 500 partisans ayant participé à l'assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021. Il a plus récemment eu recours à ce droit pour des donateurs républicains, des figures de la télé-réalité et plusieurs de ses soutiens, relève la radio américaine NPR.

"De nombreuses grâces [récemment] données par Donald Trump concernent des gens qu'il connaît, et il a côtoyé Sean Combs dans le passé."

Bernadette Meyler, spécialiste du droit américain

à franceinfo

Pour Ludivine Gilli, ces décisions récentes du dirigeant populiste traduisent une volonté de "récompense de ses amis" mais aussi "une sympathie" pour des personnes dont la situation se rapproche de la sienne. Donald Trump a en effet été poursuivi pour des soupçons de tentatives d'inverser le résultat de la présidentielle de 2020, pour complot à l'encontre de l'Etat américain ou pour avoir conservé des documents confidentiels. Il a été déclaré coupable de falsification comptable dans l'affaire Stormy Daniels. Le président américain a aussi gracié des auteurs de crime en col blanc, dont certains avaient été reconnus coupables par des juges impliqués dans ses affaires, note Le Monde

P. Diddy sera-t-il le prochain à profiter de cette vague de grâces ? Sean Combs est accusé de violences sexuelles et Donald Trump a été condamné pour agression sexuelle et propos diffamatoires à l'encontre de l'ancienne chroniqueuse Elizabeth Jean Carroll. Le rappeur comparaît à Manhattan et le président a déjà eu affaire à la justice new-yorkaise. "Donald Trump a des griefs contre le district sud de New York", où P. Diddy est poursuivi, remarque Bernadette Meyler.

En dépit de ces parallèles, il faut noter que les accusations visant le rappeur ont été instrumentalisées par des partisans de Donald Trump pour cibler Kamala Harris, sa rivale démocrate à l'élection présidentielle. Le républicain a même republié une photo truquée, prétendant montrer la candidate aux côtés du mis en cause. Si le président décide de gracier l'artiste, "cela pourrait être vu de manière assez négative, y compris au sein de son électorat", estime Ludivine Gilli. Néanmoins, un tel geste aurait, selon elle, des effets politiques "assez anecdotiques" pour le locataire de la Maison Blanche.