À l’Assemblée, François Bayrou échappe à sa première motion de censure grâce au PS et au RN

Il a franchi une première haie. Jeudi, en fin d’après-midi, François Bayrou a échappé à la première motion de censure. Le texte, déposé à l’initiative des Insoumis, des écologistes et des communistes, a largement échoué à renverser son gouvernement, avec seulement 131 voix. C’est non seulement loin de la majorité absolue requise (289), mais c’est surtout nettement en dessous de la fronde qui avait coûté sa place au LR Michel Barnier, ciblé en fin d’année dernière par 200 députés de plus (331) que le centriste. Le premier ministre résiste donc au premier couperet qui planait au-dessus de sa tête depuis sa nomination à Matignon, il y a un gros mois. Mieux, alors que la gauche avait voté comme un seul homme contre son prédécesseur dès son discours de politique générale, le Nouveau Front populaire s’est cette fois largement divisé, puisque les socialistes ont décidé d’imiter Les Républicains et le Rassemblement national en laissant sa chance au chef du gouvernement, venant ainsi grossir les rangs des macronistes de Renaissance, des centristes du MoDem, et des philippistes d’Horizons.

C’est par la voix d’Olivier Faure que le Parti socialiste a annoncé ce changement de pied, lors d’une prise de parole à l’Assemblée nationale en milieu d’après-midi. «Nous avons choisi de ne pas pratiquer la politique du pire parce qu’elle peut conduire à la pire des politiques : l’arrivée de l’extrême droite», lance, à la tribune, le patron des socialistes, sous les vives interpellations de ses camarades mélenchonistes. «Nous sommes dans l’opposition et nous y resterons», explique-t-il, avant de lister la totalité des points qui ont motivé ses troupes à ne pas voter cette motion. Parmi lesquels la création ou le maintien de 12.000 postes de personnels soignants, ou encore la non-suppression des 4000 postes dans l’éducation nationale. 

Faure ovationné

Et, surtout, l’ouverture d’une concertation entre les partenaires sociaux pour étudier les pistes d’amélioration de la dernière réforme des retraites, en vue d’un potentiel correctif par la loi cet automne. «Une illusion», ainsi qu’enrage une députée LFI, pendant qu’Antoine Léaument accuse Olivier Faure d’«Hidalgoïsation». Si les mélenchonistes ricanent et invectivent vertement les socialistes, l’ensemble des bancs du PS - François Hollande compris - ovationnent, debout, le chef de leur parti. Une fois n’est pas coutume, les quelques macronistes présents dans l’Hémicycle l’applaudissent également.

S’ils ont assumé d’aller au bras de fer avec leurs camarades, c’est, entre autres, grâce à la lettre envoyée dans la dernière ligne droite par François Bayrou aux patrons du parti à la rose. «Avoir ce courrier, c’est top», confie un élu socialiste. Dans sa missive, le premier ministre s’engage notamment à revaloriser toutes les pensions de retraite, à annuler les mesures de déremboursement de certaines dépenses de santé, à abandonner la hausse de la taxe sur l’électricité mais aussi, à hausser les taxes sur les transactions financières, à taxer le rachat d’actions, et à mettre en place une surtaxe provisoire sur l’imposition des grandes sociétés. Autant de gestes interprétés comme des mains tendues à la gauche par les socialistes, qui disent ne pas avoir «la négociation honteuse», contrairement aux Verts. «Une inflexion bien timide», regrette par exemple Cyrielle Chatelain, la patronne des députés écologistes, à la tribune de l’Assemblée. «Pas le début du commencement d’une économie. Des dépenses supplémentaires. Des hausses d’impôts. L’abandon des trois jours de carence dans la fonction publique. Évidemment, les socialistes achètent», critique quant à lui, sur X, l’ancien ministre macroniste Guillaume Kasbarian.

Votre mandat est marqué par le sceau du chantage. (...) Les raisons de vous censurer aujourd’hui sont nombreuses mais certains s’apprêtent à vous sauver

Manuel Bompard, chef de file Insoumis

L’issue de la séance étant connue d’avance, peu de parlementaires du socle gouvernemental sont venus soutenir le premier ministre dans l’Hémicycle. Quasiment vides, les bancs macronistes sont à l’image de ceux des Républicains. Mais contrairement au chef de La Droite républicaine Laurent Wauquiez, qui a fait l’effort, le patron des députés Renaissance (EPR), Gabriel Attal, n’a pas jugé utile d’assister à la prise de parole de François Bayrou. Intervention qui, faute de soutien dans ses rangs, est sans cesse interrompue par les députés LFI, grondés par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. «Vous voulez que l’affrontement soit la loi», s’agace François Bayrou en regardant les mélenchonistes, après avoir déjà trouvé leur attitude «invivable» lors de sa déclaration de politique générale mardi. Alors, quand le chef du gouvernement vante «la pratique du dialogue et de la négociation», un député LFI rétorque : «On va vous virer». Pronostic approuvé par plus de 7 Français sur 10, selon une étude Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, où une large majorité de sondés (72%) considère que François Bayrou ne passera pas l’année 2025 à Matignon. «Votre mandat est marqué par le sceau du chantage. (...) Les raisons de vous censurer aujourd’hui sont nombreuses mais certains s’apprêtent à vous sauver», martèle ainsi le chef de file Insoumis Manuel Bompard. 

Un peu d’oxygène pour le gouvernement Bayrou

Une tonalité similaire à celle du Rassemblement national, bien que les troupes lepénistes ont préféré opter pour une neutralité bienveillante à ce stade. «Un mauvais sommeil dont on se réveille sans qu’il n’ait rien réparé», a fustigé Sébastien Chenu, avant de dénoncer une «absence total de cap, de vision, de courage et de solutions pour notre pays». «Votre moteur c’est l’inertie (...) Mais c’est sur vos actes que nous vous censurerons (...) Nous n’avons pas pris Michel Barnier en traître, nous ne vous prendrons pas davantage en traître», a ajouté le député RN du Nord, confirmant que le sursis accordé par son camp ne vaudrait pas blanc-seing.

Pour l’heure, le gouvernement de François Bayrou obtient un peu d’oxygène, qui lui permet de souffler. Mais la bataille qui s’annonce ces prochaines semaines sera périlleuse pour l’exécutif au Palais Bourbon. Une complexité dont le premier ministre s’était amusé lors de la présentation de sa feuille de route, il y a deux jours. «Au risque de vous surprendre, je crois que cette situation est un atout» avait-t-il affirmé. Dans «l’Himalaya» de difficultés auquel il avait dit s’attendre à sa nomination, le premier ministre vient de gravir une première étape. En attendant de s’attaquer à une ascension autrement plus difficile, avec les débats budgétaires à venir.