La Turquie tente de neutraliser les tunnels du PKK en Irak malgré la dissolution de l’organisation kurde
Ils devront descendre de leur montagne : le 11 juillet, des combattants du PKK viendront déposer leurs armes dans la région de Souleimaniye. Le geste fait suite à la déclaration, le 1er mars, d’un cessez-le-feu par l’organisation kurde. Cette annonce avait surpris autant qu’elle avait soulevé l’espoir : le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – une organisation armée en lutte contre la Turquie, classée terroriste par l’Union européenne – disait là sa volonté de mettre un terme au conflit, à l’appel de son leader Abdullah Öcalan. Le PKK lutte depuis 1978 pour la reconnaissance de l’identité kurde, un peuple dispersé entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran.
L’annonce du cessez-le-feu avait été suivie d’une conférence de presse historique d’Abdullah Öcalan, enfermé depuis 30 ans en Turquie, qui avait appelé à un "changement de paradigme". Après cette annonce, le parti avait annoncé sa dissolution le 12 mai lors de son douzième congrès.

Pourtant, les combats n’ont pas cessé entre l'organisation kurde et la Turquie. Des cadres historiques du PKK, comme Mustafa Karasu, dénoncent "un blocage [...] dont l’attitude du gouvernement est la cause". Les affrontements ont lieu en dehors du territoire turc. Depuis le départ du PKK des montagnes turques en 2013, la Turquie poursuit la guérilla dans les montagnes irakiennes. En juin 2024, elle avait annoncé vouloir créer "un corridor de sécurité de 30 à 40 kilomètres traversant la frontière du pays avec l’Irak et la Syrie". Le but de l’armée turque est de neutraliser le réseau de tunnels du PKK situés dans les monts Gara.

"La Turquie n'arrive pas à boucler les zones qu’elle veut contrôler"
C’est depuis ces tunnels que la guérilla kurde lance depuis des années des attaques contre les bases turques en Irak. Ces souterrains sont devenus vitaux pour le PKK afin d’échapper aux drones turcs qui survolent la zone en permanence. Selon la journaliste et doctorante au CERI (Sciences Po/CNRS) Iris Lambert, il s'agit d’un conflit qui stagne depuis une longue période :
"Pour l’instant, la principale zone d’affrontement se situe entre les deux chaînes de montagnes de Matina et Gara, dans le gouvernorat de Duhok [au Kurdistan irakien, NDLR]. Mais c’est une zone très montagneuse que le PKK connaît parfaitement. Ils maîtrisent donc parfaitement le terrain. En général, les combattants kurdes sont répartis en petites unités. Ils sont retranchés dans les tunnels pour échapper à la surveillance constante effectuée par les drones militaires turcs.
De son côté, la Turquie multiplie les tirs d’artillerie. Ces frappes sont rendues possibles car les Turcs construisent de nombreuses bases militaires pour s’assurer un maillage du territoire. Récemment, on a estimé à 136 le nombre de bases qu’ils ont construites. Mais la Turquie n'arrive pas à boucler les zones qu’elle veut contrôler, et le PKK ne fait pas beaucoup d’avancées, mais ne recule pas non plus. C’est donc une situation très fixe."
Malgré l’annonce du cessez-le-feu, la rédaction des Observateurs de France 24 a pu identifier plusieurs traces d’affrontement.

Au soir de l’annonce du cessez-le-feu par le PKK, des sources prokurdes avaient publié des vidéos de bombardements menés par l’armée turque dans les environs du village de Guharze.

Côté proturc, des canaux Telegram évoquaient l’intervention d'hélicoptères de type T-129 Atak dans la même localité.

"La Turquie essaie d’utiliser le cessez-le-feu à son avantage"
Dans les mois suivant le cessez-le-feu, les frappes turques se sont multipliées, comme l’explique Kamaran Osman, membre de l’ONG Community Peacemaker Teams :
Le 27 février, le leader du PKK Abdullah Öcalan annonçait sa volonté d’entamer un processus de paix. Si on compare la semaine qui suit cette annonce aux semaines précédentes, on constate une augmentation des bombardements turcs de 145 %. S’il y a eu une légère baisse en mars, il y a eu une augmentation des bombardements de 332 % en mai par rapport à mars. Par exemple, la Turquie a effectué 510 frappes en mai.
De son côté, le PKK n’a conduit qu’une vingtaine d'attaques contre les forces turques. Ce qui montre une nette baisse de l’activité de l’organisation. En avril, les attaques se sont concentrées sur le gouvernorat de Duhok car la Turquie souhaite nettoyer ces monts Gara des tunnels qu’ils abritent.
Pour la Turquie, cette chaîne de montagnes est stratégique car c’est la frontière depuis laquelle le PKK peut atteindre le territoire turc. La Turquie essaie d’utiliser le cessez-le-feu à son avantage. Ses militaires profitent de la baisse des attaques effectuées par l’organisation pour essayer de prendre le contrôle de montagnes qu’ils ne contrôlaient pas avant. Le PKK utilise quant à lui cette chaîne de montagnes pour rejoindre la Syrie à l’ouest [où se trouve la région kurde du Rojava, un territoire contrôlé par les forces kurdes des YPG, NDLR] ou la région d’Erbil à l’est.
Tunnels bombardés
L’essentiel de l’activité de l’armée turque vise les tunnels de la guérilla kurde. La rédaction des Observateurs a pu localiser plusieurs images de frappes sur les montagnes où se trouveraient les entrées de tunnel.
Parmi ces tirs, l’un a visé un tunnel situé à proximité du village de Belave. Selon une chaîne Telegram proturque qui suit le déroulé des opérations dans la région, le bombardement aurait été effectué par les avions de l’armée turque.
Des images satellite permettent de géolocaliser le bombardement qui a été filmé au pied du village de Belave.

"La semaine dernière, il y avait plus de 40 frappes par jour"
La Turquie a aussi ciblé les vallées où se trouvent des habitations. La rédaction des Observateurs a pu géolocaliser des images qui montrent des maisons directement touchées par des frappes, comme dans le village de Spindare, le 17 avril. Selon le média turc proche de l’armée Siyah Ordu, le village de Spindare servirait de lieu de "ravitaillement" pour les combattants du PKK et les forces kurdes auraient de "nombreuses positions" situées près de ce village et de celui de Mije.

Rizgar (pseudonyme) vivait à Spindare :
Ces trois derniers jours, les bombardements ont diminué. Mais la semaine dernière, il y avait plus de 40 frappes par jour. La Turquie cible généralement le village avec des avions et de l'artillerie. Toutes les maisons ont été endommagées et un grand nombre d'entre elles ont été complètement détruites.
Nous avons été forcés d’évacuer le village en septembre 2024 à cause des combats. Il nous est interdit d’entrer dans le village. Il y a 15 autres villages autour qui ont tous été évacués. Tous les habitants du village sont des agriculteurs et notre subsistance dépend de nos terres.
"La Turquie voit les civils comme un obstacle au plein déploiement de ses troupes dans la région"
Pour Kamaran Osman, le sort du village de Spindare n’est pas un cas isolé.
Les fermiers et leurs habitations sont souvent visés par les bombardements turcs car la Turquie veut créer une zone tampon. La Turquie voit donc les civils comme un obstacle au plein déploiement de ses troupes dans la région.
Au total, 185 localités ont été totalement évacuées. Les habitants sont parfois dans l’incapacité de revenir dans leur village d’origine à cause des destructions, c’est le cas dans 405 localités. Parfois, les soldats de l’armée turque incendient eux-mêmes les terres agricoles ou les habitations afin de forcer les gens à partir. Au total, 183 villages ont été totalement vidés de leur population. En ciblant les civils, la Turquie veut envoyer un message clair aux habitants : vous ne devez avoir aucun lien avec le PKK.

Douze soldats turcs tués dans une grotte
En plus des bombardements, les opérations turques au sol ne s'arrêtent pas. Le 6 juillet, le ministère turc de la Défense a annoncé la mort de 12 de ses soldats. L’opération aurait eu lieu dans le gouvernorat de Duhok.

Selon le communiqué, les militaires ont trouvé la mort pendant l’inspection d’une grotte qui servait d'hôpital aux membres du PKK. D'après les autorités turques, les soldats auraient été intoxiqués au méthane alors qu’ils tentaient de retrouver le cadavre d’un autre militaire turc disparu en mai 2022.

Le média prokurde ANF a publié des images du cadavre d’un des soldats turcs décédés. Selon d’autres sources favorables au PKK, les soldats turcs auraient été victimes de leurs propres armes chimiques et non d’une intoxication au méthane. Il n’est cependant pas possible de confirmer ou d'infirmer cette allégation de façon indépendante.

Le 21 juin, le ministère turc de la Défense a affirmé avoir neutralisé une cache d’armes du PKK. Cette cache d'armes aurait été découverte dans la zone de l'opération turque "Pençe-Kilit".
Des frappes de "représailles" annoncées par le PKK
Dans ses communiqués publiés après l’annonce de sa dissolution, le PKK dit clairement se laisser le droit de se défendre en cas d’attaque de l’armée turque. Au total, la rédaction des Observateurs a pu compter cinq attaques filmées et revendiquées par la guérilla kurde depuis l’annonce du cessez-le-feu unilatéral. Ces attaques sont effectuées au moyen de drones FPV, de petits drones kamikazes apparus en Ukraine qui foncent à toute vitesse sur leur cible et explosent.

Depuis l’annonce du cessez-le-feu, la branche armée du PKK en Irak – les HPG – affirme que deux de ses combattants sont "tombés en martyrs".

Pourtant, malgré les frappes de drones effectuées par ses forces de guérilla, le PKK semble déterminé à mener à bien le cessez-le-feu. Abdullah Öcalan s’est exprimé le mercredi 9 juillet et a déclaré "ne pas croire aux armes mais au pouvoir de la politique et de la paix sociale".