Dans l'ombre sur France 2: «Enfin une série qui montre que la politique, ce n’est pas que de la com’»
François Margolin est réalisateur, producteur et scénariste. Il a réalisé le film Salafistes (2016).
J'avoue que je ne suis pas un grand fan des séries françaises, en particulier lorsqu'elles se piquent de parler de politique. Je les trouve pour la plupart caricaturales, très éloignées de la réalité et surtout «n'osant pas appeler un chat, un chat». À la différence de toutes sortes de films et de séries, anglaises ou américaines - je pense aussi bien à l'américaine West Wing qu'à l'anglaise Les années Tony Blair, ou au Clint Eastwood de Dans la Ligne de mire - qui, depuis des années, nous font pénétrer dans l'intimité des hommes politiques et de leurs entourages et qui font que l'on a, du coup, l'impression de beaucoup mieux les connaître que leurs équivalents français.
Cela, c'était ce que je pensais avant que je ne voie la série Dans l'ombre, réalisé par Pierre Schoeller et Guillaume Senez sur France 2, qui est diffusée à partir du 30 octobre et, depuis une grosse semaine, sur la plateforme de France Télévisions. Certes, Pierre Schoeller est l'auteur du meilleur film politique français depuis des lustres, L'exercice du pouvoir, qui valut au regretté Michel Blanc un César, et l'on pouvait espérer qu'il allait continuer dans cette voie. Certes le scénario est inspiré du très bon livre de notre ex-premier ministre, Édouard Philippe, et de son fidèle Gilles Boyer, aujourd'hui député européen, mais l'on pouvait avoir des craintes puisque le livre date de 2011 et que la situation politique a bien changé depuis, sous les coups de boutoir respectifs d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, sans parler bien sûr de Jean-Luc Mélenchon. Ces trois-là sont-ils plutôt «disruptifs» ou «destructeurs» ? La question se pose et n'est pas, à ce jour, résolue.
Les auteurs du scénario ont choisi de transposer l'histoire dans une hypothétique - mais est-ce vraiment si hypothétique? - élection présidentielle située en 2025. Et surtout ils l'ont située au sein d'une «union des droites», le projet raté d'Éric Zemmour, qui réunit droite classique et droite dure, affublée d'un centre maigrichon. Un centre que le candidat désigné de la droite, Paul Francoeur, expédie d'ailleurs d'un très drôle et très cruel: «Les centristes, ils partent en claquant les portes mais, à la fin, ils reviennent toujours».
Quand je dis «droite dure», c'est qu'il s'agit plutôt de celle de Marine Le Pen, dont l’excellente Karin Viard s'est fait la tête, que de Bruno Retailleau. On découvre d'ailleurs, quasiment par hasard, dans l'un des deux derniers épisodes, qu'il existe aussi un candidat d'extrême droite mais celui-ci n'a aucune existence politique et possède un charisme proche du zéro. C'est habile. Prémonitoire, je ne sais pas, mais sans doute envisageable si cette Union des droites fantasmée se réalise, avec une extrême droite «mélonisée» à l'italienne, par exemple. Pourquoi pas ?
Car, et c'est là le message de cette étonnante série, la réussite en politique a sans doute besoin de vérité et pas seulement de cynisme, et le tandem qui fonctionne à merveille, Paul Francoeur-Cesar Casalonga, en est le symbole.
François Margolin
Le candidat de la droite, Paul Francoeur, est un gentil : d'un calme imperturbable, toujours souriant, victime d'un terrible accident d'auto, quelques années auparavant, dans lequel sa femme mourut, et qui se déplace depuis en fauteuil roulant. Un handicapé à la Présidence de la France, c'est très «inclusif» comme on dit aujourd'hui, et plus osé qu'une femme jamaïco-indienne comme Kamala Harris à la présidence des Etats-Unis! Et c'est certainement possible. D'autant que l'excellent Melvil Poupaud qui l'interprète, est remarquable de profondeur et de sincérité.
Malgré les coups tordus et les trahisons qu'il doit affronter - je ne vais pas «spoiler» la série - , un classique du film sur les hommes (et femmes) de pouvoir, il refuse de faire autre chose que de «dire la vérité» (à un ou deux détails près, bien sûr, ne soyons pas naïfs). On aimerait y croire mais peut-être est-ce la solution dans cette France d'aujourd'hui, totalement divisée et morcelée, surtout quand différents sondages récents montrent que les Français n'ont plus une grande confiance en leurs hommes politiques. Peut-être est-ce aussi le projet politique du Édouard Philippe de 2024 (et de 2027?), et pas seulement du Édouard Philippe de 2011, c'est-à-dire avant l'effacement de Nicolas Sarkozy et l'élection de François Hollande.
Mais la grande idée de la série est d'avoir choisi de faire voir toute cette aventure par les yeux du principal conseiller politique du candidat de la droite, remarquablement interprété par Swann Arlaud, alias Cesar Casalonga dans la fiction, à qui, non seulement le rôle va comme un gant mais qui justifie là les divers Césars qu'il a reçus ces dernières années, en particulier dans «Anatomie d'une chute». Sa pertinence, son intelligence, son désir d'apporter au «patron» non des problèmes mais des solutions, comme il le dit lui-même, sa solitude aussi -son chat est son seul véritable confident-, font que l'on comprend réellement comment fonctionne la politique, en particulier dans cette course d'obstacles qu'est une campagne présidentielle.
Car, et c'est là le message de cette étonnante série, la réussite en politique a sans doute besoin de vérité et pas seulement de cynisme, et le tandem qui fonctionne à merveille, Paul Francoeur-Cesar Casalonga, en est le symbole. Ce choix, auquel s'ajoute la confiance mutuelle entre les deux hommes, leur ouvre toutes les portes et devient la clef de la victoire.
On aimerait que cela soit exact, mais dans cette histoire où la com' n'est pas le seul but dans la vie - contrairement à ce dont on tente de nous convaincre depuis sept longues années - les vraies raisons de se battre sont des idées, des idées auxquelles on croit, des idées qui puissent changer la vie. Le plus étonnant, sans doute, est qu'aujourd'hui, contrairement aux cinquante dernières années où l'on pensait que seule la gauche pouvait être porteuse de ces valeurs, c'est à droite que cela se passe. Avec une droite à la fois forte, sociale et respectueuse de ses principes. On se demande bien où elle se cache aujourd'hui.