Benjamin Lavernhe : Le Mélange des genres «montre l’absurdité d’une masculinité associée à la virilité»
Radiostars, Le Sens de la fête, Le Discours et bien sûr En fanfare. Benjamin Lavernhe sait faire pleurer au cinéma mais il est surtout très doué pour faire rire. Le sociétaire de la Comédie-Française, inoubliable Scapin, le prouve encore une fois dans Le Mélange des genres, la nouvelle comédie de Michel Leclerc sur les rapports hommes femmes à l’heure #Metoo. Il joue Paul, mari et père dévoué, acteur loser et homme déconstruit (ou « démoli » ?) aux prises avec une association féministe baptisée « les hardies ». Entretien avec un acteur en plein dans son époque.
LE FIGARO.- Avec En fanfare , plus de 2,6 millions d’entrées, vous êtes devenu un acteur populaire. On vous reconnaît dans la rue ?
BENJAMIN LAVERNHE. - Avoir un succès populaire avec un premier rôle, ça change beaucoup de choses. Je sens un impact, on me demande plus de selfies. Quand je voyais mes potes François Civil et Pierre Niney très sollicités, j’étais bien content d’être tranquille. Mais c’est parce qu’on est proche de la sortie, ça va s’estomper. Surtout, je reçois plus de propositions. Je ne sais pas combien de temps ça va durer mais tant mieux. Je n’ai jamais été un grand stratège mais j’essaye de ne pas lasser le spectateur et de construire une filmographie. Ça me touche quand on me dit qu’on apprécie mes choix. Les Engagés ou Le Sixième enfant n’ont pas fait beaucoup d’entrées mais je les aime beaucoup.
Paul est le contraire de vous, qui êtes un acteur à qui tout réussit…
Le fait que ça marche pour moi ne me déconnecte pas de la réalité de ce métier. Quand je vois sur un tournage un comédien qui vient une journée, qui a la pression pour deux répliques, j’ai de l’empathie. Il arrive que le metteur en scène ne s’en occupe pas du tout parce qu’il a plein d’autres choses à gérer. Je le prends alors en charge parce que je sais à quel point c’est difficile. J’ai plein de potes géniaux qui ne travaillent pas à la hauteur de leur talent. C’est amusant de voir qui bosse et qui ne bosse pas après le cours Florent ou le Conservatoire. Il y a des stars de cours de Cons’ qui ne travaillent pas aujourd’hui. D’autres, qui étaient moins dans la lumière, font aujourd’hui une belle carrière.
Paul est notamment mannequin pour les photos sur les paquets de cigarette (cancer du poumon, nécrose du pied, trachéotomie…)
Il y a des gens dont c’est le métier. Personne n’y a jamais pensé mais on s’est beaucoup posé la question avec Michel. Qui est ce type qui pose de façon très sérieuse sur les paquets de clope ? Je ne sais pas si Paul est abruti ou naïf. Si c’est du lard ou cochon. Comme sa seule réplique, « Je pose ça là », dans une pièce qui est une sorte de fresque à la Wajdi Mouawad sur fond de guerre au Liban. Il est habillé en livreur Deliveroo, on voit qu’il est mauvais acteur, mais la scène lui tient à cœur. Jouer faux, c’est de la régalade. Mais c’est très difficile de le faire sans être caricatural. C’est comme chanter faux quand on chante juste.
Se faire piquer un rôle par une femme, comme Paul, pour des raisons d’inclusion et de parité, ça vous est arrivé ?
Non, pas encore. C’est un peu différent mais il m’est arrivé de mettre du temps à refuser un rôle et d’apprendre que le personnage avait été réécrit pour une femme. Il y a encore du chemin. Le Mélange des genres parle justement de cette petite peur chez les hommes, tiraillés entre un idéal de société et l’intérêt individuel. Je suis très sensible au scénario au second rôle féminin, souvent très pauvre et dénué d’enjeu. La femme de Paul, jouée par Julia Piaton, est très finement écrite et incarnée. Elle est inquiète pour son mari quand il est faussement accusé. Elle lui dit : « je te crois », une inversion des genres assez gonflée. Et quand Paul est vexé de ne pas être crédible en tant qu’agresseur, le contrechamp sur elle est capital. Il montre l’absurdité d’une masculinité associée à la virilité.
Comme Paul, vous êtes en couple avec une comédienne, Rebecca Marder. Soutien mutuel ou jalousie ?
Je ne sais pas si c’est propre au métier d’acteur. J’aime bien cette réplique du film : « femme au foyer, pour un homme aussi c’est chiant ». Nous, on a la chance de ne pas connaître de déséquilibre. Je serai curieux de voir quelle confiance en moi et en ma place d’homme je garderais si je ne travaillais pas du tout et que ma compagne nous faisait vivre. Je n’en sais rien. Le fait d’être épanouis dans nos métiers est indéniablement plus facile à vivre.
Vous n’avez pas été distribué à la Comédie-Française depuis Les Serge (Gainsbourg point barre) , en 2019…
Et le spectacle est en tournée, avec Rebecca Marder de retour avec nous jusqu’au festival Off d’Avignon. On va même faire les Eurockéennes de Belfort pour un set d’une heure devant 15 000 personnes, avant Justice… J’ai surtout joué des reprises, Le Mariage Forcé, Les Fourberies de Scapin. On l’a encore joué en Chine l’automne dernier, c’était incroyable. Si je n’ai pas créé de rôle depuis, ce n’est pas que de mon fait, loin de là. Scapin est mon dernier grand rôle dans la salle Richelieu, en 2017. Ça date. Mais j’ai des belles choses qui arrivent dont je ne peux pas encore parler.
Scapin à Pékin peut-il apparaître nu sur scène comme à Paris ?
Évidemment pas. Le Parti Communiste chinois l’interdit. Il lit d’abord phrase par phrase la pièce. Il épluche toutes les ambiguïtés potentielles et les messages politiques. Il connaît bien Molière et n’a pas fait de coupes, même si je ne comprends pas le mandarin. Quant à ma nudité au début de la mise en scène de Denis Podalydès, il a vu une captation et a dit pas question. J’avais un beau caleçon. Scapin fait autant rire en Chine qu’en France, voire plus pour ce qui est de l’absurdité du dénouement, de l’ironie du tout est bien qui finit bien. Plus troublant, les spectateurs chinois n’applaudissent quasiment pas à l’issue de la représentation. Ils trouvent ça ridicule. En France, on est très cabot, on a besoin de revenir trois fois pour se faire acclamer. Mais vous avez 600 téléphones brandis à bout de bras pour prendre des photos.
Vous avez incarné l’abbé Pierre dans le biopic de Frédéric Tellier, un film « abîmé » depuis les accusations de violences sexuelles portées contre lui. Comment le vivez-vous ?
Je suis encore abasourdi. C’est comme un traumatisme. Au-delà de l’empathie pour les victimes, c’est une énigme pour moi. Comment un homme comme lui a pu être un prédateur sur autant de décennies, comment quelqu’un qui souffrait à la place de l’autre a pu infliger autant de souffrance… Se tromper à tel point sur quelqu’un, c’est très choquant. En l’interprétant, j’ai porté ses valeurs. Des générations entières auraient pu découvrir le film et le prendre pour modèle. C’est comme de perdre un ami. C’est un deuil très difficile à faire.
Tourner Jeanne du Barry , de Maïwenn , avec Johnny Depp, ne vous a pas valu de critiques de la part des associations féministes ?
Non. Je me suis posé la question avant de le faire, le calendrier était particulier. Son procès avec Amber Heard a été très médiatisé juste avant le tournage. C’était un peu inconfortable, je me demandais qui était ce mec… Johnny Depp a une part sombre. C’était rock’n’roll mais j’ai adoré ce tournage. On s’est très bien entendu dans le travail. On ne se voit pas depuis. Il vit dans une autre sphère.
À la différence de Pio Marmaï, Jean Dujardin et d’autres acteurs, vous n’avez pas été convoqué par la commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma…
Non, je ne sais pas comment le prendre. C’est limite vexant. Je n’ai toujours pas compris quels étaient les critères. Sans doute que ma position dans le cinéma n’est pas assez forte. Mais je vais lire les témoignages de mes confrères, cela m’intéresse.