Alpha, le nouveau drame familial de Julia Ducournau, aussi gore qu’agaçant

Quatre ans après sa palme d’or pour Titane, le Festival de Cannes a réservé un accueil moins dithyrambique au troisième film de Julia Ducournau. En compétition, Alpha, expérience horrifique et sensorielle, plonge dans l’intimité de la réalisatrice française plus encore que ces deux précédents films.

L’action se situe dans une ville qui pourrait être Le Havre dans les années 1980. Au cœur de cette cité portuaire, battue par un mystérieux vent rouge à la Mad Max, sévit un mystérieux virus qui décime la population. L’allégorie avec le sida est transparente. Alpha (Mélissa Boros), 13 ans, n’a pas froid aux yeux. Dans une fête alcoolisée, l’adolescente, ivre, se fait graver un « A » sur le bras. Au petit matin, sa mère médecin (Golshifteh Farahani) panique. L’aiguille était-elle stérilisée ? Et elle entre dans une boucle paranoïaque qui réactive le souvenir traumatique de son frère toxicomane qu’elle n’a pas su sauver du virus. À l’hôpital, Golshifteh Farahani soigne des patients dont le corps se solidifie jusqu’à se muer en des gisants d’albâtre.

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Rempart aimant

Amin (Tahar Rahim, qui a perdu 20 kg pour le rôle) réapparaît dans l’appartement de cette famille monoparentale. Tel un spectre, il s’installe dans la chambre de l’adolescente rebelle. Les souvenirs affluent. Comme celui où la jeune Alpha avait relié au feutre noir les trous de piqûre sur le bras de son oncle. En traçant cette paradoxale « ligne de vie », la fillette lui avait susurré que ce serait « plus joli comme ça »

Alpha est vite mise en quarantaine par sa mère qui forme un rempart aimant si puissant que la jeune fille le vit comme un enfermement. Quant à son sang qui ne cesse de couler, il s’oppose symboliquement à l’argile asséchée qui s’effiloche des patients contaminés. Alors que tout s’effondre, Alpha s’éveille pourtant à l’amour, à la liberté et au désir.

Julia Ducournau reste fidèle à ses obsessions et poursuit son cinéma charnel, gore et inquiétant. Après le cannibalisme affamé de Grave (2017), la grossesse automobile biomécanique de Titane (2021), c’est au corps en mutation que s’attache Alpha. Ducournau a toujours eu le talent de figurer l’organique, en cultivant sciemment l’horreur corporelle héritée de Cronenberg. Ici, elle y ajoute d’autres influences, comme celle de Requiem for a Dream, de Darren Aronofsky.

Dialogues maladroits

Mais en travaillant seule sur le scénario de cette intrigue qui la touche de près, la réalisatrice s’est pris les pieds dans son tapis créatif. En voulant déguiser à outrance la vérité de ses sentiments, Alpha multiplie les crises de larmes, les engueulades bruyantes et les dialogues maladroits. En alternant deux lignes temporelles, orange pour le passé, bleuté pour le présent, la réalisatrice égare le spectateur plus qu’elle ne l’invite au cœur de son histoire.

Au final, le scénario est fait d’une argile qui s’effrite comme l’affection qui contamine les patients. Facteur aggravant, l’humour est absent, signe que la cinéaste manque de recul sur son sujet. En mélangeant le teen-movie, la chronique familiale, le film horrifique et le « body horror » paranoïaque, Alpha se métamorphose en un « film chaos ». Fable hystérique et larmoyante, ce golem cinématographique se débat dans ses propres contradictions et finit par se rigidifier dans une forme visuelle certes époustouflante, mais dépourvue de sens et de vérité profonde.


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La note du Figaro : 1,5 / 4