L’objectif d'Emmanuel Macron du million d’apprentis par an pourrait ne jamais être atteint

L’ambiance était à la fête du côté de l’Élysée ce 5 janvier. Loin des tumultes du remaniement qui allait occuper l’actualité des jours suivants, le président de la République recevait les représentants de la profession de boulangers-pâtissiers pour la traditionnelle galette des rois. Comme chaque année, aucune fève n’était cachée dans l’imposant gâteau, ce qui n'a pas empêché le chef de l'État de se jeter quelques lauriers. «Nous avons collectivement réussi une vraie révolution culturelle française ces dernières années. C'est celle de l'apprentissage », a-t-il lancé au cours de son discours. Au passage, l’exécutif a dévoilé une première estimation du nombre de nouveaux contrats signés en 2023, qui devrait avoisiner les 860 000.

Derrière ce tableau idyllique, ce chiffre témoigne toutefois d’un inquiétant fléchissement. L’année écoulée ne dépasse 2022 que de.. 3% pour le nombre d'arrivées en apprentissage . À titre de comparaison, le bond au cours des douze mois précédents avait été de 14%. Soudainement, la promesse d’Emmanuel Macron de voir un million de jeunes entrer chaque année dans cette filière à cheval entre école et entreprise d’ici 2027 prend du plomb dans l’aile. Le seuil pourrait même ne jamais être atteint. «Les flux sont arrivés à une forme d'équilibre et devraient se stabiliser», pronostique Yannick L'Horty, économiste du travail et professeur à l'université Gustave Eiffel. Difficile selon lui d’aller beaucoup plus loin. Avec 850 000 signatures, le nombre d’entrées dépasse déjà la population d'une classe d'âge estimée à 750 000 individus. Trouver les 250 000 individus en plus chaque année relève donc... de la prouesse.

Un autre regard sur l’apprentissage

Pas de quoi impressionner le président de la République. «On va atteindre le million qu'on s'était donné pour objectif», a-t-il assuré. Qu’il le soit ou pas, «l’important n’est pas là, assure Yannick L’Horty, ce qu’il l’est en revanche, c’est que l’apprentissage soit devenu un vrai outil dans le politique de l’emploi». Ce cursus, encore présenté comme une voie de garage il y a moins de dix ans a en effet gagné ces lettres de noblesse. En 2016, moins de 300 000 contrats étaient signés chaque année selon la Dares, en grande majorité dans l’infra-bac. Depuis, les centres de formation ont essaimé partout en France et même les établissements les plus prestigieux comme HEC, le propose à leurs étudiants. Tout le monde en sort gagnant.

L’élève peut toucher un revenu, mieux se former et accéder plus facilement à un contrat longue durée. Avec les aides, l’entreprise ne paie presque pas son salarié la première année et à l’issue du cursus peut embaucher une personne qui connaît déjà le métier. Enfin les comptes publics financent des tremplins vers l’emploi en lieu et place d’indemnisation chômage et ceux à moindres frais. «Le coût budgétaire d’un poste créé en apprentissage est d’environ 20 000 euros. C’est nettement moins que beaucoup d’autres contrats aidés», souligne Yannick L’Horty.

Des succès qui ne doivent pas faire oublier que cette politique de soutien à l’apprentissage a encore des faiblesses. De par son ampleur, elle pèse lourdement sur les finances publiques. «16,8 milliards d'euros pour la seule politique d'alternance», en 2022 selon la Cour des comptes. Le système qui devait à l’origine être exclusivement financé par la taxe professionnelle payée par les entreprises se retrouve ainsi lourdement déficitaire malgré des subventions de l’État. Dans son budget prévisionnel 2023, France Compétences, l'instance de régulation de la formation professionnelle et de l'alternance, table sur un déficit de 2,1 milliards d’euros, après 4,6 milliards en 2020 et 2,9 milliards en 2021.

Elle mériterait également d’être plus centrée sur les profils les moins diplômés qui profitent davantage de cette formation pour aller vers l’emploi. «Le taux d'insertion avec apprentissage est de 10 à 15 points supérieur sur ces profils, et il baisse à mesure que les études s'allongent. Au niveau master, la différence est quasi insignifiante», détaillait Antoine Foucher, président de Quintet et ancien directeur de cabinet de l'ex-ministre du Travail Muriel Pénicaud. À l’heure actuelle, 62% des apprentis ont des profils post-bac. C'est peut-être ça, plus que le million d’entrées par an, sur lequel devrait dorénavant se concentrer le président de la République.