Il avait fait son grand retour aux affaires au ministère des Outre-mer sous François Bayrou, avant de faire les frais de la crise politique déclenchée par la nomination de l’équipe «Lecornu 1» - ce qui l’a poussé vers la sortie. Un peu plus d’une semaine après son départ forcé du gouvernement, Manuel Valls regrette de ne pas pouvoir poursuivre son action, notamment dans la continuité de l’accord historique de Bougival, qu’il avait fait aboutir en juillet sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, entre les non-indépendantistes, l’État et les indépendantistes. Un accord dont le FLNKS s’est depuis retiré.
Dans une interview publiée mardi soir sur le site du magazine Le Point , l’ancien premier ministre affirme «ne pas comprendre la décision» d’Emmanuel Macron et de Sébastien Lecornu de l’écarter, - un «mélange de mesquinerie et de cynisme», grince-t-il, alors que le couple exécutif l’avait pourtant confirmé dans ses fonctions le 5 octobre. Et ce, quelques heures seulement avant que le premier ministre ne présente sa démission, le lendemain, en réaction au tweet virulent de Bruno Retailleau, qui s’étonnait sur X des équilibres politiques du nouveau gouvernement et, sans le nommer, de la nomination de Bruno Le Maire aux Armées. Une décision dont le président de LR dit ne pas avoir été informé.
Passer la publicitéManuel Valls a beau assurer qu’il n’en tire ni «amertume» ni «rancœur», il n’en demeure pas moins circonspect : «Ma mission nécessitait du temps et de la stabilité» et «avait vocation à se poursuivre», se lamente l’ancien socialiste, démis de ses fonctions le 12 octobre. Car, au-delà du dossier calédonien, l’ex-ministre de l’Intérieur entendait «défendre la loi contre la vie chère qui brise le lien social, mener des chantiers institutionnels pour la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et suivre la refondation de Mayotte». Des dossiers brûlants qu’il a dû laisser sur le bureau de sa successeure, la députée philippiste Naïma Moutchou. Si le Franco-Espagnol confie que «personne n’est irremplaçable», il sait sans doute qu’il paie avant tout le prix d’être une figure politique très identifiée par les Français. Peut-être trop.
Un gouvernement hétéroclite
Peu importe pour Manuel Valls. Alors que Sébastien Lecornu a fait savoir qu’il avait voulu composer un gouvernement «mêlant société civile, profils expérimentés et jeunes parlementaires», afin de déconnecter son action des logiques partisanes - et surtout de la présidentielle - dans le but, plus ou moins avoué, de repousser le risque de censure -, Manuel Valls, lui, «constate que ce n’est ni un gouvernement renouvelé ni composé exclusivement de membres de la société civile.»
Il n’empêche : de nouvelles têtes politiques ou supposées «expertes» ont bel et bien fait leur entrée dans l’équipe ministérielle - à commencer par Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, nommé à l’Intérieur ; Jean-Pierre Farandou, ancien PDG de la SNCF, au Travail, Monique Barbut, ex-présidente de WWF France, à la Transition écologique ; ou encore l’ex-directeur général de l’Enseignement scolaire, Édouard Geffray, à l’Éducation. Plusieurs ministres, déjà présents dans les gouvernements Bayrou ou Barnier, demeurent toutefois en place - à l’instar de Catherine Vautrin, passée du Travail et de la Santé aux Armées, de Jean-Noël Barrot, resté aux Affaires étrangères, ou de Rachida Dati, reconduite à la Culture.
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Comment Manuel Valls justifie-t-il alors sa sortie ? Il estime subir «sans doute plutôt le fait d’avoir réussi à réinstaurer le dialogue en Nouvelle-Calédonie alors que ceux qui ont décidé de (son) départ avaient échoué sur ce dossier». Mais surtout, il laisse entendre que «(ses) désaccords avec le président, moins sur la reconnaissance d’un État palestinien sans conditions (annoncée le 22 septembre dernier à l’ONU, NDLR) que sur une question plus profonde : le rapport de la France aux Français juifs» ont pesé dans la balance.
L’ancien premier ministre, connu pour son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme - un fléau dont les actes ont connu une forte recrudescence dans l’Hexagone depuis le 7-Octobre - suggère d’ailleurs que cette divergence supposée avec le chef de l’État s’est construite progressivement, citant l’absence d’Emmanuel Macron à la marche de novembre 2023 contre l’antisémitisme, ainsi qu’«un certain nombre de ses propos» sur la guerre à Gaza.