Jeux olympiques : Tommie Smith, 80 ans et toujours le poing levé
Le temps passe, les images restent, et Tommie Smith tient encore debout. Au palais de la Porte Dorée, dans le XIIe arrondissement de Paris mardi, l'ancien sprinteur américain, champion olympique à Mexico en 1968 sur 200 m, a visité l'exposition «Olympique, une histoire du monde – 1896 – 2024», accessible jusqu'au 8 septembre. «1936», a-t-il aussitôt dit en déambulant devant le portrait de Jesse Owens, au 3e étage du palais.
Marcher, Tommie Smith l'a peu fait ce jour-là. Avec un pied gauche dans une botte de protection, l'homme aux 80 printemps s'est surtout déplacé dans une voiturette électrique. Il était néanmoins assez en forme pour poser devant la grande photo qui lui est dédiée, l'une des plus mythiques de l'histoire du sport. Celle de son podium aux JO, où lui et son compatriote John Carlos ont brandi un poing ganté de noir. «J'ai protesté contre les inégalités sur les droits humains», explique-t-il encore aujourd'hui. Les États-Unis, où Martin Luther King avait été assassiné six mois plus tôt, se déchiraient alors sur fond de ségrégation raciale.
«Une nécessité de sacrifier ce moment»
Pourquoi a-t-il levé son poing ? Pourquoi le gant ? À quoi pensait-il sur le moment ? «On continue et on continuera à me poser ces mêmes questions. Cela me va. J'ai toujours les mêmes réponses», glisse malicieusement, entre deux gorgées de soda, Tommie Smith. Il le confesse, ce moment a semblé durer une éternité. «L'hymne a duré une minute et trente-et-une secondes. C'était la plus longue minute et demie de ma vie», sourit le Texan.
Il se dit encore «très fier» de son geste, cinquante-six ans plus tard, et ne le regrettera jamais. «C'était une nécessité pour moi de sacrifier ce moment parce que le monde entier nous regardait.» Un sacrifice, ça oui. Smith (24 ans) et Carlos (23 ans) sont suspendus par le CIO puis interdits de compétition à vie. Smith vient pourtant d'établir un record du monde sur 200 m (19,83 secondes) qui tiendra onze ans. Plus que le dépérissement précoce de sa carrière, l'Américain a dû faire avec la haine de l'establishment qui l'a accompagné des années durant. «Tellement de menaces de mort», se souvient-il avec détachement.
En 2016, lui et Carlos ont été reçus à la Maison Blanche par le président Barack Obama. Le CIO, de son côté, ne s'est jamais excusé. Peut-être un jour ? «Il n'est jamais trop tard pour faire le bien», répond tendrement le sprinteur, détenteur d'une maîtrise en sociologie et reconverti dans le coaching après avoir raccroché les chaussures à pointes.
«Le sport, c’est de la politique»
À un peu plus d'un mois des JO de Paris 2024, Tommie Smith n'en démord pas : «Le sport, c'est de la politique.» C'est «l'une des plus grandes plateformes» pour faire passer des messages. Faut-il y voir une incitation de sa part ? «Si les athlètes veulent y accoler une dimension politique, c'est à eux, leurs coaches et leur famille de décider. Pas à Tommie Smith», répond-il en parlant de lui à la troisième personne.
Il en profite pour saluer Colin Kaepernick, quarterback de foot US devenu le symbole des protestations contre les violences policières pour s'être agenouillé durant l'hymne américain en 2016. «Il souffre toujours de ce geste, mais c'était un grand geste. Je suis fier de ce jeune homme car il a pris position», applaudit Smith. Depuis, Kaepernick est tombé aux oubliettes, boudé et calomnié par les médias. Comme l'a été bien avant lui Smith, dont le geste iconique et pacifique, silencieux mais bruyant, est aujourd'hui perçu avec bienveillance par l'opinion publique, comme un acte de courage plus que de rébellion.
Le voilà à Paris, des cheveux en moins, la barbichette entièrement blanche mais le verbe encore fluide. «Gardez un œil sur Noah Lyles», prévient-il en référence au nouveau roi du sprint, sextuple champion du monde, médaillé de bronze sur 200 m à Tokyo. Les Jeux de Paris, Tommie Smith n'en ratera pas une miette. Il attend déjà sa discipline phare, le 200 m, pour laquelle il s'enflamme à peine le sujet effleuré. «J'ai hâte de suivre la technique, voir comment ils vont aborder le virage. Oh ça y est, me revoilà à coacher...»