Les bâtisseuses de Notre-Dame, du Moyen-Âge à aujourd'hui
Cinq années de chantier, mais trois seulement consacrées réellement à la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Avant de refaire, il a fallu consolider la cathédrale, cet immense échafaudage qui s’était solidifié au-dessus de la charpente en flammes. Pour tenir les délais, il a donc fallu organiser le passage des différents corps de métiers à la baguette. Cette baguette est tenue par les conducteurs et conductrices de travaux, des professionnel·les dont le métier est de jouer le rôle de l’huile dans un vaste rouage et de permettre le ballet chorégraphié des différents métiers au même endroit de la cathédrale, dans un ordre logique et sur un rythme soutenu.
Ce rôle, c’est celui de Clara Baier. À 25 ans, c’est son premier emploi mais pas son premier chantier : toute petite déjà, elle accompagnait son père menuisier au travail. Elle a fait de sa passion de petite fille son métier, et malgré sa silhouette frêle et son jeune âge, elle ne s’en laisse pas conter par les compagnons. Elle est écoutée et elle écoute aussi, dans un lien de confiance et d’apprentissage mutuel.
Elle fait partie de ces bâtisseuses, qui sont de plus en plus nombreuses. Sandrine Victor, elle, sait bien que les femmes ont toujours eu leur place sur les chantiers. Depuis l’antiquité, au Moyen-Âge et aujourd’hui encore. La preuve : les cahiers des procurateurs, ces personnes qui tenaient les comptes pour payer leurs manœuvres. Bien souvent, les traces sont vagues, on parle de nombre de personnes sans préciser de qui il s’agit. Et puis, aux temps médiévaux, les femmes ne pouvaient pas accéder aux corporations professionnelles. Elles pouvaient être formées à des métiers d’art spécifiques, et même y être excellentes, mais le fait de ne pas produire le "chef-d’œuvre" final de la formation officielle les empêchaient de devenir "maîtresses" et de former des apprenti·es. Elles étaient donc obligées de ruser, parfois en gardant le nom de leur mari après son décès et en administrant l’entreprise en son nom…
Chloé Iché est couvreuse et elle a travaillé sur de grands chantiers de monuments historiques, comme le château de Chambord ou le Grand-Palais, mais Notre-Dame de Paris a une dimension particulière pour elle. Ce monument, pour elle, n’est pas seulement religieux ou français, il a une dimension qui transcende le temps, les religions et les frontières. Sur les toits, elle occupe le même poste que des hommes mais sa force physique est, tout de même, différente. Elle raconte ces sculptures lourdes, parfois plus qu’elle-même, et pour lesquelles ses collègues masculins sont d’une grande aide. Elle a beau être la seule femme de son équipe, elle ne se sent pas le moins du monde isolée.
Enfin, Marie-Cécile Kfouri est restauratrice de peinture et dans son métier, il y a une grande majorité de femmes. Il s’agit d’art, de restauration et surtout, d’œuvrer en transparence afin que sa patte à elle ne puisse pas se distinguer de celle de l’artiste initial·e. D’habitude, quand elle intervient sur un chantier, la place est nette et elle ne croise que des collègues. Mais à Notre-Dame de Paris, avec les délais serrés, il a fallu passer à l’action dans des conditions différentes, au milieu d’autres corps de métiers, dans le bruit et avec des combinaisons encombrantes pour se protéger contre le plomb. Et pendant une grossesse qu’elle a menée quasiment à son terme sur le chantier. À ces conditions inhabituelles s’est ajouté la magie de découvrir, sous les peintures de la restauration de Viollet-Le-Duc, des trésors oubliés du Moyen-Âge.