Des milliers d’artistes demandent l’annulation d’une vente d’œuvres créées par l’IA chez Christie’s

La longue et douloureuse bataille des artistes contre l’intelligence artificielle se poursuit. Alors qu’un sommet se tient à Paris sur la question, 3 000 personnalités du monde de l’art, incluant Karla Ortiz et Kelly McKernan, ont ratifié une pétition réclamant l’annulation d’une vente aux enchères organisée par Christie’s. Cette mise a l’encan, intitulée « Augmented Intelligence », est « la première de l’histoire dédiée à l’intelligence artificielle », précise la maison de vente new-yorkaise dans un communiqué.

Au programme, une vingtaine de lots comprenant des sculptures, peintures, gravures, mais aussi des œuvres papiers, numériques et interactives seront proposés à la vente entre le 20 février et le 5 mars. L’objectif ? Mettre en avant « les travaux des cerveaux innovants, allant des pionniers de l’intelligence artificielle des années 1960 jusqu’aux artistes les plus contemporains », indique Nicole Sales Giles, directrice des ventes d’art numérique chez Christie’s. Ainsi, des noms comme Harold Cohen (1928-2016), l’un des précurseurs dans le monde de la peinture autonome, ou encore le spécialiste américain des « robots peintres », Pindar Van Arman, sont inscrits sur la liste des exposants.

Emerging Faces (2017) de Pindar Van Arman, fait partie de la collection permanente du Musée d’art du comté de Los Angeles. Christie’s

Parmi les œuvres les plus convoitées, Christie’s présente l’intriguant Emerging Faces (2017) de Pindar Van Arman. Estimée entre 180 000 et 250 000 dollars, cette série de portraits, intégrée à la collection permanente du Musée d’art du comté de Los Angeles, a été totalement réalisée par deux robots dirigés par l’IA générative. Sont aussi présentés le modèle atypique Embedding Study 1 & 2 des artistes Holly Herndon et Mat Dryhurst, estimé entre 70 000 et 90 000 dollars, ainsi que l’innovation d’Alexander Reben. Au cours d’une performance en direct, un robot codé sur mesure par l’artiste et chercheur américain peindra de plus en plus de surface d’une toile à mesure que les enchères, commencées à 100 dollars, augmenteront.

Œuvre artistique ou vol ?

Mais cette grande vente n’est pas sans susciter la moindre opposition. Les rédacteurs d’une pétition disent vouloir « poursuivre en justice des entreprises spécialisées dans l’IA au motif que leurs outils de génération d’images ont utilisé leur travail sans autorisation ». « Un grand nombre des œuvres d’art que vous envisagez de vendre aux enchères ont été créées à l’aide de modèles d’IA dont on sait qu’ils ont été entraînés sur des œuvres protégées par des droits d’auteur sans licence, ajoutent-ils. Ces modèles, et les entreprises qui les utilisent, exploitent les artistes humains en se servant de leur travail sans autorisation ni paiement pour créer des produits d’IA commerciaux qui leur font concurrence. »

« Ces modèles, et les entreprises qui les utilisent, exploitent les artistes humains en se servant de leur travail sans autorisation ni paiement pour créer des produits d’IA commerciaux qui leur font concurrence  »

Extrait de la pétition

Les signataires s’attaquent aussi à Christie’s. « Votre soutien à ces modèles, et aux personnes qui les utilisent, récompense et encourage davantage le vol massif du travail des artistes humains par les entreprises d’IA », dénoncent les signataires.

En réponse, le Guardian  relate qu’un porte-parole de la maison de ventes new-yorkaise a déclaré que « dans la plupart des cas », l’IA utilisée pour créer les œuvres d’art vendues aux enchères avait été formée à partir des « propres données » des artistes. « Les artistes représentés dans cette vente ont tous des pratiques artistiques pluridisciplinaires solides et existantes, dont certaines sont reconnues dans des collections muséales de premier plan. Les œuvres présentées dans cette vente aux enchères utilisent l’intelligence artificielle pour enrichir leur corpus et, dans la plupart des cas, l’intelligence artificielle est utilisée de manière contrôlée, avec des données formées à partir des données fournies par les artistes eux-mêmes », se targue d’expliquer ce porte-parole.

Embedding Study 1 & 2 des artistes Holly Herndon et Mat Dryhurst est estimé entre 70 000 et 90 000 dollars. Christie’s

Vivre avec son temps

Auprès du Guardian, l’un des artistes présents sur la liste des enchères, le britannique Mat Dryhurst, a déclaré que la question de l’art et de l’IA lui tenait « profondément à cœur » et qu’il rejetait les critiques formulées dans la lettre. « Je déplore qu’un débat important, qui devrait porter sur les entreprises et la politique des États, soit centré sur les artistes aux prises avec la technologie de notre temps », a-t-il ajouté.

Reste que les œuvres crées grâce à l’IA trouvent de plus en plus leur place sur le marché. À des prix parfois faramineux. En novembre 2024, par exemple, le portrait du mathématicien anglais Alan Turing, réalisé par le robot bionique Ai-Da qui utilise l’intelligence artificielle pour créer des tableaux ou des sculptures, a été vendu un million d’euros aux enchères, sept fois son estimation.