Six Nations : pourquoi le match entre l’Angleterre et la France s’appelle le «Crunch»

La rivalité, et pas que sportive, est ancestrale entre la France et l’Angleterre. Normal, dès lors que les rencontres de rugby entre ces deux nations fassent des étincelles et soient, chaque année, attendues avec impatience des deux côtés du Channel.

Un sommet qui a gagné une appellation : le «Crunch». Le terme, qu’on peut traduire par «moment crucial», est apparu pour la première fois en 1981 sous la plume d’un journaliste du quotidien irlandais, Irish Times. Avant de passer dans le langage courant lors du pic de la détestation entre les deux équipes au début des années 1990.

Deux peuples qui donnent à leurs gares des noms de défaites de l’adversaire ne sont jamais totalement réconciliés. Les années ont beau passer, Waterloo et Austerlitz ne s’oublient pas. «Il y a un passé, on n’y peut rien», souligne, au Figaro, Jean Gachassin dans un large sourire. L’Angleterre restera toujours la perfide Albion. Il suffit d’écouter Éric Champ, rugueux guerrier des années 1980, pour comprendre qu’il n’y a pas loin des champs de bataille aux terrains de rugby. «Quoi de plus merveilleux que de poursuivre avec un ballon ce qu’on apprenait à l’école !», s’exclame le Toulonnais.

Au sortir d’une victoire à Twickenham en 1967, Christian Darrouy envoie un télégramme au général de Gaulle : « Mission accomplie... »

Oui, des siècles d’histoire collent aux crampons des rugbymen. Aux sceptiques, on rappellera qu’à la fin des années 1980 Will Carling, le capitaine du XV de la Rose, motivait ses partenaires en leur récitant des vers de Shakespeare. Plus particulièrement ceux de Henry V qui évoquent Azincourt, cette bataille durant laquelle, en 1415, «la fine fleur de la chevalerie française» fut décimée par les archers du roi d’Angleterre. Il y a des relents d’histoire dans le surnom dont Denis Lalanne affubla Benoît Dauga : «le Grand Ferré», ce paysan de Rivecourt qui, en 1358, occit nombre d’Anglais. Et que dire de ce télégramme envoyé au général de Gaulle par Christian Darrouy au sortir d’une victoire à Twickenham en 1967 : «Mission accomplie...»

« Ça dépasse le cadre du rugby, confirme Olivier Magne. L’histoire nous a opposés. Les battre, c’est aussi faire valoir sa culture.» C’est contester une suprématie. Avec son bon sens paysan, Walter Spanghero remet les choses à leur place : «Il y a de l’animosité parce que, longtemps, les Anglais furent les maîtres de ce jeu. De là est né un différend.» Le mot est faible : «On aimait bien les Irlandais, on appréciait la ferveur des Gallois, le jeu des Écossais. Mais l’Anglais, il te regardait tellement de haut que tu avais forcément envie de te le farcir», confie Éric Champ au Figaro en éclatant de rire.

Le fameux fair-play anglais. Ou, plutôt, « le fer dans la plaie », comme l’écrivait déjà Antoine Blondin en 1955.

Le génial Gachassin reprend : «Bien sûr, on se filait des sales coups des deux côtés. Mais eux, en plus, étaient vicieux. Ils te donnaient un coup de poing en te disant, avec le sourire : ‘’I’m sorry’’». Le fameux fair-play anglais. Ou, plutôt, «le fer dans la plaie», comme l’écrivait déjà Antoine Blondin en 1955. Jean-Pierre Bastiat n’a pas oublié. 1977. Le XV de France en route pour le grand chelem se rend à Twickenham. À la une des tabloïds, «Set that Bastiat !» («Descendez Bastiat !») : « Ils nous traitaient de horde sauvage. » Résultat, les Bleus sont accueillis sous les crachats et les insultes. Ça ne les empêchera pas de s’imposer 4 à 3.

1991, quart de finale de la Coupe du monde au Parc des Princes. À chaque réception de chandelle, Serge Blanco est «passé à la moulinette». « C’est leur façon d’appréhender le sport. Tout est bon pour gagner, souligne Éric Champ. Ce jour-là, ils ont réussi. Ils nous ont fait péter les plombs. Il faut s’attendre à ça demain. » «Ça commençait dès le début de la semaine. Il appelait ses copains journalistes pour balancer des saloperies, pour nous traiter d’animaux, se souvient Abdel Benazzi. Et ça continuait sur le terrain. Il avait tous les vices : coups, insultes... » À rapprocher du «Sorry good game» asséné des années durant par Will Carling aux vaincus. «On se faisait avoir car ils jouaient sur notre point faible, la discipline. À chaque fois, on disjonctait», regrette Benazzi. À l’image de Lascubé et Moscato, expulsés au Parc des Princes en 1992.

Mais, malgré ces mauvaises manières, le joueur français ne déteste pas le joueur anglais. «Au contraire», s’exclame Walter Spanghero qui connut le bonheur de les étriller 37 à 12 le 26 février 1972 pour la fermeture de Colombes. «C’est un adversaire de valeur. J’aimais bien me mesurer à eux, leur rentrer dedans.» Une «affection» partagée par Bastiat : «Je les respecte car ils ont une dureté au mal exceptionnelle.» «Et puis, ce qui fait leur charme c’est qu’après t’en avoir mis plein la figure, ils redeviennent gentlemen», conclut Jean Gachassin.

* Cet article est paru dans les colonnes du Figaro le 13 octobre 2007