Festival de Cannes : "Quand on fait de tels films, on sait qu'il y a un prix à payer", confie le réalisateur iranien Jafar Panahi qui a reçu la Palme d'or pour "Un simple accident"

"Quand l'annonce a été faite, lors de la cérémonie de clôture pour la Palme d'or, je n'arrivais pas à bouger", confie Jafar Panahi, sur France Inter, lundi 26 mai, deux jours après avoir reçu la Palme d'or au Festival de Cannes pour son film Un simple accident, brûlot politique tourné clandestinement, envoyant à ses compatriotes un message pour "la liberté".

Pour le dissident iranien, condamné deux fois à de la prison dans son pays, ce qui apparaissait devant ses yeux au moment de l'annonce de la Palme d'or, "c'était tous ces prisonniers". "J'avais l'impression qu'ils défilaient devant moi, qu'ils s'embrassaient, qu'ils se félicitaient. Je me suis dit 'Ça y est, j'ai payé mon tribut' à eux tous. Et là, j'ai enfin été capable de me lever", confie le réalisateur. Il assure "qu'à partir du moment où le film a été montré à Cannes, il y a eu une vague d'espoir entre les cinéastes iraniens, surtout ceux de la jeune génération". Il pense que "ce rayon est même parvenu aux prisonniers".

"J'avais l'impression qu'une ombre passait"

Questionné sur ses années passées en prison, Jafar Panahi témoigne : "Quand vous êtes un prisonnier politique, la première chose que l'on fait, c'est qu'on vous met à l'isolement." Si les prisonniers sont sortis de la cellule, leurs yeux sont bandés et ils sont emmenés dans une pièce. "On vous assoit à 50 cm d'un mur, sur une chaise face au mur, on vous donne un papier et un crayon pour répondre aux questions qu'on vous pose." Le réalisateur se souvient de la voix qui lui posait des questions : "Cette voix, elle est dans votre dos. Il n'y a pas d'autres bruits environnants, pas d'autres voix, vous restez hantés par cette voix-là." Même après sa libération, Jafar Panahi se souvient que cette voix "continuait de résonner" en lui. "Parfois quand j'étais seul chez moi, poursuit-il, tout d'un coup j'avais l'impression qu'une ombre passait ou que quelqu'un avait dit quelque chose. Je cherchais partout et il n'y avait personne. C'était simplement cette peur qui continue de vous habiter", se rappelle-t-il.

Le réalisateur sait qu'il peut de nouveau retourner en prison: "Quand on fait de tels films, on sait qu'il y a un prix à payer. Ça peut être la prison ou 1 000 autres choses." Jafar Panahi se dit prêt : "Ce n'est pas grave. Si ça arrive, j'irais me reposer en prison et recevoir de nouvelles histoires. Ils verront bien quelle perche ils m'auront tendue." Le réalisateur assure qu'il est incapable de fuir à l'étranger car il n'a pas "cette force, cette audace, cette capacité" et se dit "incapable de [s]'adapter à un autre pays que l'Iran".

"Une sorte d'anticipation"

Son film Un simple accident pose la question de savoir ce que l'on fait quand on est face à son bourreau. Pour Jafar Panahi, "c'est une sorte d'anticipation". "Supposons que le régime [iranien] soit déjà tombé", explique le réalisateur, avant de questionner : "Qu'est-ce qu'il faut faire de cet homme-là ou de ses supérieurs ? Comment faire pour ne pas céder au cycle de la violence ?" Pour lui, c'était important de faire ce film, "de se poser cette question avant la chute du régime". "Il faut que notre attitude à venir soit déjà déterminée pour ne pas nous retrouver ce jour-là dans un effondrement du pays tout entier en même temps que le régime", souligne le cinéaste.

Un régime qui s'est "déjà effondré", selon le réalisateur iranien qui regrette le fait qu'il "reste encore une coquille vide". Une coquille qui, selon lui, "dispose de l'argent, des armes" et qui "arrive encore à se maintenir jusqu'au jour où elle craquera". Le réalisateur ne sait pas quand : "Demain ? Dans un mois ? Dans un an ? Elle finira par craquer et les Iraniens assisteront à cet effondrement définitif", pronostique-t-il.