Enquête sur les sources du média Disclose : un ingénieur militaire envoyé en correctionnelle

Un procès dans un dossier qui a inquiété de nombreux journalistes : un ingénieur militaire vient d'être renvoyé en correctionnelle pour compromission du secret de défense nationale, accusé par la justice d'être à l'origine de révélations du média Disclose  évoquant des dérives de la coopération militaire franco-égyptienne. L'enquête s'est concentrée sur plusieurs articles publiés par Disclose à partir de 2019, relatifs aux ventes d'armes françaises à l'étranger, mais aussi sur l'opération «Sirli», une mission de renseignement française en Égypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.

L’ingénieur se défend de toute infraction

Après des plaintes du ministère des Armées, qui n'a pas réagi dans l'immédiat, une instruction a été ouverte en juillet 2022. L'ingénieur militaire, qui conteste toute infraction, a été mis en examen en septembre 2023. Le parquet de Paris, qui a confirmé le renvoi à l'AFP, a toutefois indiqué qu'un appel du ministère public avait été formé lundi contre cette ordonnance, et donc que l'audience éventuelle, initialement fixée au 21 mai 2026, pourrait être repoussée.

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Le parquet a requis le 26 août son renvoi en procès pour violation du secret professionnel, mais demandé un non-lieu sur la compromission du secret de la défense nationale, considérant selon une source proche du dossier l'enquête lacunaire et non-concluante sur ce point. La juge d'instruction a choisi le 9 octobre l'option inverse, renvoyant en correctionnelle l'ingénieur militaire pour avoir «transmis de la documentation et des informations protégées».

Relation intime avec l’une des journalistes ?

Selon une source proche du dossier, la juge justifie son renvoi par les fonctions de l'ingénieur militaire, qui lui auraient donné connaissance des détails de l'opération Sirli. Elle évoque la relation intime qu'il aurait entretenue avec l'une des journalistes co-autrices de l'article, Ariane Lavrilleux, et avance un possible mobile: son partage des critiques formées par cette dernière quant à la coopération militaire franco-égyptienne.

Sollicitée, l'avocate de l'ingénieur, Margaux van der Have, a critiqué la «construction probabiliste édifiée autour d'une relation sentimentale, sans le moindre élément matériel de transmission. Alors que les sources possibles se comptaient par centaines, les contributeurs aux articles n'ont pas été auditionnés.» L'avocate ajoute qu'une enquête interne du ministère des Armées a conclu «à l'exemplarité du parcours professionnel de (son) client» et abouti à sa «réintégration».

«Traitement inadmissible par les services de renseignement»

Ariane Lavrilleux, perquisitionnée et placée en garde à vue en 2023, avait finalement échappé début 2025 à une mise en examen, et ne sera donc pas jugée. «Avec Disclose, nous sommes disculpés après des années d'enquête. C'est un soulagement et même une victoire», a salué la journaliste. Elle voit toutefois une «contradiction entre cette reconnaissance de l'intérêt général de l'enquête» et son «traitement inadmissible par les services de renseignement», avec «la géolocalisation de (son) téléphone» ou le fait qu'elle a été suivie, jusque «dans le tramway».

«Rien» dans le dossier «ne permet d'affirmer qu'une source m'a transmis des informations», conclut-elle. Son avocat, Me Christophe Bigot, a relevé que l'ordonnance de renvoi «montre que le secret-défense n'est pas absolu et peut céder devant la liberté de l'information», une «analyse qui aurait pu être faite dès le départ» et aurait ainsi évité de «soumettre Ariane Lavrilleux à un régime inadmissible». Pour lui, «le renvoi du militaire est basé sur de pures spéculations» et sur «un biais sexiste. Ce n'est pas parce qu'il y a une relation que l'intéressé a donné des éléments».

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«Atteinte grave à la liberté d’informer»

«Cette atteinte grave à la liberté d'informer se conclut sur un échec» de la justice à identifier toute source, estime aussi Mathias Destal, cofondateur de Disclose. L'enquête a suscité l'hostilité de la profession. Le cadre légal en vigueur avec la loi Dati de 2010 sur la protection des sources est «insuffisamment protecteur» et «est désormais abusé ou contourné», avaient plaidé dans une lettre au gouvernement une centaine d'organisations dont l'ONG Reporters sans frontières (RSF) ou des syndicats professionnels.

En parallèle du dossier, la ministre de la Culture Rachida Dati s'était engagée début 2025 à renforcer la protection des sources. Depuis, elle s'en est prise frontalement à plusieurs journalistes, y compris sur le terrain judiciaire, pour leurs révélations sur des affaires judiciaires la concernant ou sur de supposées irrégularités dans ses déclarations de patrimoine.