Benjamin Morel : «François Bayrou aurait pu être un bon président du Conseil sous la IIIe ou la IVe République»
Maître de conférences en droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, Benjamin Morel a publié récemment Le Parlement, temple de la République (Passés Composés, 2024).
FIGAROVOX. - Que vous inspire la nomination de François Bayrou à Matignon ?
Benjamin MOREL. - François Bayrou est un profil intéressant pour les épreuves qui s’annoncent. Il aurait pu s’avérer un bon président du Conseil des IIIe et IVe Républiques. Il ne faudrait pas entendre là une quelconque critique. Le problème de Michel Barnier était qu’il pensait que la majorité lui était acquise, et même qu’elle lui était due. C’est très… Ve République. Cela fonctionne lorsque vous disposez d’une majorité absolue et d’un fait majoritaire structurant, mais pas lorsque vous êtes à la tête d’un gouvernement très minoritaire. Sous les IIIe et IVe Républiques, les majorités étaient sans cesse à construire, et la majorité d’hier n’était pas forcément celle d’aujourd’hui.
En ayant la capacité de se tourner à la fois vers la gauche et vers le RN, François Bayrou peut favoriser une majorité élastique. Là où Michel Barnier dépendait du bon vouloir du RN, Bayrou dispose de plus de cordes à son arc. Par ailleurs, le fait qu’il soit un vrai et sincère partisan de la proportionnelle pourrait desserrer l’étau sur certains alliés, notamment à gauche.
Le choix de François Bayrou présente toutefois un désavantage fondamental : Michel Barnier s’appuyait en réalité sur cinq personnalités clés : François Bayrou, Édouard Philippe, Laurent Wauquiez, Gabriel Attal et Marine Le Pen. Chacune rêve de l’Élysée. Le profil de Michel Barnier ne les dérangeait guère car il apparaissait comme une moindre menace pour leurs ambitions. Maintenant que l’un d’entre eux est nommé, comment vont réagir les autres ? Ajoutez à cela que l’impétrant s’est imposé à un Emmanuel Macron peu allant : les conseils des ministres risquent de devenir des séances de baisers Lamourette, tandis que le climat parlementaire pourrait prendre un peu plus encore des allures florentines.
Que pensez-vous de la volonté de gouverner avec l’«arc républicain» : est-il possible de faire sans le NFP ni le RN dans l’Assemblée ?
C’est possible mais compliqué. En effet, cela implique d’abord de s’appuyer sur au moins six groupes politiques. Les coalitions à l’étranger en comptent rarement plus de deux ou trois. Or, ces groupes politiques ont des orientations très différentes, notamment sur le budget. Se mettre d’accord sur un texte budgétaire entre le PS et LR ne sera pas une mince affaire.
Cela est d’autant plus vrai que ces formations seront sous la pression de Jean-Luc Mélenchon, qui accusera les socialistes de pactiser avec la droite, et de Marine Le Pen, qui trouvera l’occasion de dénoncer la trahison de LR. Les formations entrant dans le pacte de non-censure risquent de payer cher ce choix. On pourra toujours invoquer un «gouvernement de personnalités» ou un gouvernement «d’intérêt général» : cela séduira le microcosme politique.
Cependant, une politique d’austérité est rarement populaire, et les électeurs mécontents se tournent souvent vers les partis qui la dénoncent. Dans ce contexte, LR pourrait être tenté de ne pas participer au gouvernement. Or, un gouvernement Bayrou peuplé de macronistes renforcerait probablement la défiance démocratique après la séquence de la dissolution, affaiblissant un peu plus sa capacité d’action.
Quand on classe les formations politiques entre majorité et opposition, le critère fondamental est le vote du budget : un parti votant le budget appartient à la majorité ; un parti votant contre, à l’opposition.
Benjamin Morel
Le gouvernement Bayrou peut-il échapper au contrôle du RN, contrairement à son prédécesseur ?
C’est très incertain. En cas de pressions trop fortes sur les socialistes, le RN pourrait redevenir l’arbitre des élégances. Cela serait d’autant plus tentant que le RN a intérêt à donner des gages de modération, notamment après avoir montré qu’il pouvait censurer. Les socialistes, quant à eux, pourraient chercher à rassurer leur électorat de gauche.
LR, qui avait retrouvé un peu d’air grâce aux prises de positions de Bruno Retailleau, risque de peiner à gérer une absence de positionnement clair du gouvernement sur des sujets comme l’immigration. Dès lors, le RN pourrait rapidement apparaître comme une bouée de sauvetage nécessaire pour «laisser vivre» le gouvernement Bayrou, sans que cela ne coûte trop aux autres groupes.
Le PS troque une non-censure contre un non-49.3. La condition de survie du gouvernement Bayrou passe-t-elle par un exercice apaisé, ou véritablement parlementaire, du pouvoir ?
On n’a pas inventé le 49 alinéa 3 pour rien… Ce n’est pas une idée de de Gaulle, mais de Pierre Pflimlin et Guy Mollet. Sous la IVe République, les gouvernements ne tombaient presque jamais à cause d’une motion de censure. Ils chutaient parce qu’ils savaient, une fois mis en minorité, qu’ils ne pourraient pas faire passer leurs textes, notamment leurs budgets. Ils avaient alors le choix entre démissionner ou laisser le pays être paralysé.
On vante souvent la motion de censure constructive allemande, qui oblige à trouver un nouveau chancelier pour en renverser un. Toutefois, regardez Olaf Scholz : ayant perdu sa majorité, il a dû annoncer qu’il démissionnait avant la discussion du budget. À défaut, il n’aurait pas été renversé, mais l’Allemagne aurait été paralysée.
Quand on classe les formations politiques entre majorité et opposition, le critère fondamental est le vote du budget : un parti votant le budget appartient à la majorité ; un parti votant contre, à l’opposition. Dire que l’on va se passer du 49 aliéna 3 sur le budget présuppose donc que LR et le PS trouveront, ensemble et avec les macronistes, un modus vivendi et accepteront de facto d’intégrer la majorité. Nous en sommes loin.
Renoncer au 49 aliéna 3 en dehors du budget me semble louable, mais l’exclure pour les textes budgétaires mettrait chacun dans une situation intenable. Les socialistes, notamment, seraient-ils réellement dans une situation enviable s’ils devaient voter un budget avec LR sous les quolibets de LFI ? Or, si un échec sur un budget peut se rattraper, ce sera beaucoup plus difficile en mars. Les formations politiques jouant ce jeu risquent de se retrouver, dans quelques mois, face à un choix cornélien : sacrifier leurs intérêts ou risquer le pire pour le pays.