Trois frères, deux nations. Si Fabien (bientôt 30 ans) et Émilien (25 ans) Claude continuent de défendre les couleurs de la France chaque saison sur le circuit mondial de biathlon, il n’en va pas de même de leur aîné, Florent, qui, à 33 ans, bat pavillon belge depuis 2017. Non sans une certaine réussite au vu de sa progression des trois dernières années. Alors qu’il n’avait terminé l’exercice 2020-2021 qu’à une anonyme 42e place au classement général de la Coupe du monde, il n’a depuis eu de cesse de grimper dans la hiérarchie pour réaliser sa meilleure saison l’an passé, achevée au 22e rang. Soit six places seulement derrière un certain Quentin Fillon-Maillet, le quintuple médaillé – dont deux en or – français des Jeux de Pékin en 2022.
De quoi aborder le prochain exercice, qui s’est ouvert en individuel mardi dernier à Kontiolahti (Finlande), avec ambition pour le Vosgien de naissance : «Je sors de mes deux meilleures saisons et j’aimerais bien désormais rentrer dans le Top 15 au classement général de la Coupe du monde et y rester jusqu’à la fin de la saison. Cela signifie donc être plus performant encore sur chaque course. J’ai déjà fait quelques Top 10 mais je n’ai encore jamais décroché les fleurs réservées à ceux qui finissent dans les six premiers. Donc j’aimerais bien pouvoir aller chercher mes premières fleurs en Coupe du monde, et pourquoi pas un podium sur un grand rendez-vous comme les Mondiaux.»
Un objectif élevé pour celui dont le meilleur résultat demeure une 9e place lors d’une poursuite à Oberhof (Allemagne) en janvier 2022. «Je me sens plutôt bien pour attaquer cette saison, je n’ai pas eu de problème dans la préparation et j’ai effectué tout le travail que nous avions prévu avec mon entraîneur. Tous les feux sont au vert. Après, en biathlon, la densité est tellement forte que souvent ça ne se joue à rien. Plusieurs fois quand j’ai fini aux portes du Top 10, cela s’est joué à quelques secondes. Du coup, j’estime qu’il y a un peu partout à gratter, sur le tir, sur les skis… Je travaille tout en espérant faire basculer ces petites secondes qu’il me manque du bon côté.»
Des secondes précieuses pour espérer mettre à mal la colonie norvégienne, qui a trusté six des sept premières places du classement général de la dernière Coupe du monde remportée par le chef de file scandinave, Johannes Boe, alors que la France a vu sa position dégringoler. «La domination a toujours été norvégienne si vous regardez le général sur plusieurs années», analyse-t-il avec lucidité. «Ce sont eux qui mènent la danse même si, c’est vrai, les Français étaient bien là et parvenaient à contester leur domination. Mais l’an dernier, le règlement a changé au niveau du fartage, on est passé au sans fluor et les Norvégiens disposent de laboratoires de recherche très performants qui expliquent pourquoi ils étaient vraiment en avance sur le fartage. Et puis ils ont une telle densité d’excellents biathlètes. Si vous prenez le 8e ou 9e meilleur Norvégien, il est capable de faire podium sur n’importe quelle étape de Coupe du monde. Donc cela les pousse sans cesse vers le haut, à donner le maximum.»
Leur projet était d’avoir quelqu’un de bon niveau pour réussir à gravir des échelons et amener la Belgique dans une autre dimension.
Florent Claude
Un circuit de Coupe du monde auquel Florent Claude ne participerait peut-être plus s’il n’avait pas fait le choix de quitter une équipe de France où il se trouvait souvent relégué en deuxième division du biathlon mondial en raison d’une forte concurrence derrière le tandem Martin Fourcade-Quentin Fillon-Maillet. Jusqu’au moment où le voisin belge est venu toquer à sa porte afin de développer la discipline dans le Plat Pays, dans la foulée de la création d’une fédération indépendante pour la discipline en 2012. «Le projet du développement du biathlon en Belgique m’a vraiment plus», se remémore-t-il. «Il y a des personnes incroyables à la tête de la Fédération, que je connaissais déjà avant de mon club de ski dans les Vosges. Leur projet était d’avoir quelqu’un de bon niveau pour réussir à gravir des échelons et amener la Belgique dans une autre dimension. Il voulait une sorte de leader pour ensuite monter une équipe capable de rivaliser avec les meilleurs. Et je trouvais cela extrêmement gratifiant d’être au cœur d’un tel projet.»
Plutôt que d’être la cinquième roue du carrosse bleu-blanc-rouge, le biathlète a préféré prendre ses responsabilités, même s’il réfute n’avoir été séduit que par ce rôle de tête de gondole. «Ce n’est pas que pour ça, c’est surtout le projet global qui m’intéressait. Après, c’est sûr que lorsque tu es le leader de l’équipe, c’est toujours plus facile car tu fais partie intégrante des décisions, on te demande ton avis. Mais ce n’était pas ma motivation principale. La preuve, aujourd’hui, oui je suis le leader de l’équipe mais je n’impose pas plus ma loi qu’un autre. Le but est qu’on soit tous au même niveau d’égalité pour progresser ensemble. Et mon rôle consiste à apporter mon expérience, mon vécu.» Un choix passé comme une lettre à la poste à l’époque au sein de sa famille. «Dans ma famille, on est hypersoudés. Mes parents et mes frères étaient contents que je trouve une autre place aussi pour pouvoir continuer à faire mon sport, à m’épanouir et ils ont respecté mon choix. Il n’y a pas eu besoin de plus de discussion que ça.»
Cela m’a sorti un peu de ma zone de confort mais tout ce qui a été promis a été fait au mieux et d’année en année, on continue d’évoluer et c’est top. Du coup je n’ai vraiment aucun regret concernant ma décision.
Florent Claude
Ce changement de nationalité sportive ne lui laisse d’ailleurs aucun regret. «Je suis super content parce qu’individuellement, je fais mes meilleures saisons donc ça prouve que quitter la France ne m’a pas empêché de continuer à être performant. Et au-delà de mon cas personnel, l’équipe est de plus en plus solide, que ce soit chez les gars ou chez les filles. On l’a vu l’an dernier sur le relais mixte des Mondiaux où on fait 8es. Quand j’ai quitté l’équipe de France, il y avait un grand point d’interrogation parce que je savais ce que je perdais et je ne savais pas ce que j’allais avoir. J’avais des promesses de choses qui devaient se faire mais au moment où je suis arrivé c’était vraiment le début, tout était en développement. Mais vu que je connaissais les personnes d’avant et que j’avais confiance en eux, j’avais le sentiment de prendre un risque contrôlé. Cela m’a sorti un peu de ma zone de confort mais tout ce qui a été promis a été fait au mieux et d’année en année, on continue d’évoluer et c’est top. Du coup je n’ai vraiment aucun regret concernant ma décision.»
La passion du poker
Ce qui ne l’empêchera pas de savourer les Jeux olympiques 2030 qui se dérouleront dans les Alpes françaises. «J’ai suivi les Jeux cet été devant la télévision et c’était incroyable. Cela m’a motivé pour continuer jusqu’en 2030, de pouvoir vivre ça, des Jeux en France pour essayer de retrouver un peu de cette atmosphère. Même si je suis Belge désormais, dans le cœur des gens, je reste les deux.» Et pour se sortir la tête des cibles et des spatules, Florent Claude a trouvé un parfait palliatif hors compétition : «Le poker est un loisir», nous confiait-il en marge d’un événement organisé par Poker Stars . J’aime beaucoup y jouer et ce qui m’intéresse, c’est l’aspect compétition des tournois. C’est long, un peu comme un marathon, mais petit à petit les joueurs sont éliminés et on peut entrevoir le fait de se rapprocher du podium, de la victoire. Après, j’ai tellement d’entraînement que je ne peux pas jouer très souvent. Mon but est vraiment d’être performant en biathlon et le poker reste un loisir.»
Et le biathlète de conclure, après avoir brillamment fini le tournoi organisé au Casino d’Aix-les-Bains à la 28e place (sur 234 engagés) : «Mentalement, le poker demande quand même beaucoup de travail. C’est un sport de haut niveau parce que cela exige une grande rigueur. Lors de tournois sur plusieurs jours, tu es obligé de faire le travail et d’être un minimum en forme, sinon tu ne peux pas tenir plusieurs jours de suite. Tu peux très bien jouer pendant 20 heures ou 30 heures et sur une main où tu es un peu déconcentré, si tu as fait la fête la veille par exemple, tu vas faire une erreur et ton tournoi s’arrête là. Donc, il y a quand même des similitudes mentales communes au biathlon et au poker. Forcément, l’aspect physique ne compte pas mais il y a cette sensation de compétition, de dépassement de soi sur le plan mental, d’analyse, de comment gérer certaines situations, de rester patient à des moments…» Comme sur un pas de tir finalement.