Génocide à Gaza : « On assiste à un renversement géopolitique de l’utilisation de la CIJ »
Ce 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) doit rendre sa décision concernant la demande de mesures conservatoires déposée par l’Afrique du Sud dans le cadre d’un possible génocide en cours perpétré par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. L’affaire a été plaidée les 11 et 12 janvier. Johann Soufi, juriste, dégage les grandes lignes d’un dossier d’ores et déjà historique.
En quoi est-ce important ?
C’est la première fois qu’une juridiction se prononce sur la gravité de ce qui se passe à Gaza, quasiment en temps réel. Par ailleurs, s’il y a une décision qui considère qu’il y a un risque plausible de génocide, eh bien, cela entraînera des conséquences à la fois politiques et juridiques pour l’ensemble des États ! Par exemple, il sera difficile, pour un certain nombre de gouvernements, de continuer à soutenir militairement une opération qui serait qualifiée de « risque plausible de génocide ».
La Cour internationale de justice ne se prononcera pas sur la légalité de l’action israélienne à Gaza. Elle se prononcera simplement sur le fait de savoir s’il y a, oui ou non, un risque de génocide. Si elle juge qu’il n’y a pas de risque de génocide, cela ne voudra pas dire qu’il n’y a pas de crime de guerre et de crime contre l’humanité en ce moment dans l’enclave.
Quoi qu’il arrive, on est déjà dans un moment décisif. Aujourd’hui, on voit un renversement géopolitique de l’utilisation de la CIJ. Désormais, les États du Sud global utilisent les instruments du droit international pour faire valoir des droits et protéger des populations civiles.
Les décisions de la Cour internationale de justice sont-elles contraignantes ?
Il existe deux types de décisions émises par la CIJ. Les avis consultatifs, qui ne sont pas contraignants. Mais, dans ce cas, la décision aura une valeur contraignante que l’ensemble des États devront respecter. Après, si on parle de la capacité de la communauté internationale à la faire exécuter, je rappelle que, ni la Cour internationale de justice, ni les autres juridictions internationales, d’ailleurs, n’ont de forces de police propres.
Donc, l’exécution revient d’abord au Conseil de sécurité des Nations unies et aux États de l’appliquer. En tout cas, sur l’obligation juridique de cette décision, il n’y a absolument aucun doute. Les résolutions du Conseil de sécurité, par exemple, sont aussi obligatoires juridiquement.
Après, si les États ne les mettent pas en œuvre et qu’il n’y a pas de capacité ou de volonté de ces derniers de les faire respecter, c’est une autre question. On n’est plus dans la valeur juridique, mais dans l’incapacité de la communauté internationale de faire respecter le droit.
Une fois la décision de la CIJ rendue, concrètement, que peut-il se passer ?
Tout dépendra de la teneur de cette décision. D’abord, iront-ils dans le sens de l’Afrique du Sud ? Il faut au moins 8 juges sur les 15. Dans ce cas, il faudra regarder sur quelles mesures conservatoires ils se sont mis d’accord. Si la Cour internationale de justice ordonne un cessez-le-feu, comme elle l’a fait en Ukraine, et que, comme la Russie, Israël refuse de s’y tenir, ou en tout cas de l’exécuter, il reviendra alors aux États de prendre des mesures : des sanctions politiques, des sanctions économiques, des sanctions diplomatiques, pour qu’Israël respecte la décision. Mais l’immense majorité des États, y compris la France, ont déjà dit qu’ils exécuteront et qu’ils respecteront la décision de La Haye.