Décès de la chanteuse Nicole Croisille à 88 ans

Plus de cinquante ans après leur sortie, ses chansons les plus connues, dont Un Homme Et Une Femme avec le refrain «ba da ba da », Parlez-moi de lui, (Il ne pense qu'à toi), Une femme avec toi, Téléphone-moi… attirent près de 170.000 auditeurs par mois sur Spotify. C'est beaucoup. Nicole Croisille s'est éteinte à l'âge de 88 ans. Elle aimait tout faire : chanter, danser et jouer la comédie. Elle a donné son dernier grand concert en 2014 au Casino de Paris. En 2020, à l'âge de 83 ans, Nicole Croisille était encore sur scène aux côtés de Michel Sardou dans N'écoutez pas Mesdames  de Sacha Guitry

Née à Paris en 1936, elle est subjuguée par les comédies musicales américaines. Judy GarlandShirley MacLaineMarlène Dietrich sont ses idoles. À la radio, elle entend le big band de Glenn Miller et l'orchestre de Duke Ellington. Sa mère pianiste, répétitrice pour les danseurs étoiles à l'Opéra de Paris lui fait prendre des cours de danse, de chant et de comédie. Sa fille a le sens du rythme, une bonne oreille et chante juste. Son mari, accompagnateur de voyages pour American Express veut qu'elle devienne fonctionnaire internationale. Il l'inscrit dans des écoles bilingues et lui interdit de passer le concours d'entrée à l'école de danse de l'opéra.

En 1953, à dix-sept ans, bac en poche, Nicole Croisille adopte le look de vamp de Marlène Dietrich et intègre le petit corps de ballet de la Comédie Française. Mamamouchi du Bourgeois Gentilhomme, perchée sur des échasses dans Les Fâcheux de Molière… Le chorégraphe Jacques Chazot la repère et elle côtoie les grands acteurs de l'époque comme Louis Seigner et Robert Hirsch. Toujours avide d'apprendre, elle suit les cours du mime Marceau. En 1956, sa vie bascule : Marceau l'emmène en tournée en Europe et en Amérique du Sud. Jean Marais l'embauche pour son spectacle musical L'Apprenti Fakir. Ses danseurs américains lui apprennent la danse modern jazz et l'emmènent dans les clubs de jazz. De là, elle intègre une revue menée par Joséphine Baker.

Première partie de Jacques Brel

En 1960, elle remplace au pied levé Dany Saval, future épouse de Michel Drucker, pour danser dans un casino près de Las Vegas. L'arrivée sur le paquebot Queen Mary à New York est magique. Reno dans le Nevada n'est encore qu'un gros village planté au milieu du désert. La journée, elle fait du cheval dans les ranchs avec les croupiers. Tous les soirs, elle danse le cancan. Elle n'a pas de place pour un amoureux ou pour des enfants. À seulement 28 ans, « j'ai décidé une fois pour toutes de privilégier ma carrière à mes sentiments», écrit-elle un peu sèchement dans ses mémoires parues en 2006. À ses côtés, elle n'aura que des chiens, des petits lévriers.

En 1964, après avoir été chanteuse de club à Chicago et Denver, elle se produit enfin à Broadway dans Folies Bergère avec Patachou en vedette. Pour voir son nom en haut de l'affiche d'un musical en anglais, il lui faudra patienter encore trente ans. Ce sera à Paris avec Hello Dolly au Châtelet. Heureusement, il y a le jazz. Entre deux voyages en Amérique, elle aime faire des bœufs dans les clubs parisiens. Un soir, Ray Charles vient boire un verre, elle lui chante Hallelujah, I Love Her So. La mère de Michel Legrand lui fait rencontrer un jeune parolier qui travaille avec son fils, c'est Claude Nougaro. Il lui écrit des chansons, elle enregistre des 45 tours. Elle part deux ans en tournée avec un big band, puis avec Johnny Hallyday et fait même la première partie de Jacques Brel à L'Olympia.

Mais à trop mélanger les genres et les disciplines, le public ne l'identifie pas. Comme elle est déjà trop âgée pour être yéyé, pour gagner sa vie, elle est choriste ou danseuse. On la voit twister aux côtés d'un Cloclo qui débute et on l'entend par exemple sur Biche oh ma biche de son rival Franck Alamo.

Arrive Claude Lelouch qui lui propose la voix intérieure de l'héroïne de son prochain film Un Homme et Une Femme. Palme d'Or à Cannes, le film explose et la chanson, composée par Francis Lai, aussi. Mais voilà : c'est un duo, Nicole Croisille ne peut pas l'interpréter seule à la télévision. « Tout le monde me croyait comblée, la situation était pénible à vivre », dira-t-elle en 2006.

Elle sort la chanson I'll never Leave You sous le pseudo Tuesday Jackson. Enfin, le succès est là. Les radios, les télévisions…tout le monde est persuadé d'avoir affaire à une chanteuse noire américaine. Sa forte personnalité fait un peu peur aux producteurs et aux maisons de disque. « Ils savaient que je ne me laisserai jamais imposer un pygmalion qui me façonne à sa guise », écrit-elle dans ses Mémoires.

Elle a une autre faiblesse : elle est interprète et dépend des auteurs-compositeurs. Au milieu des 70's, elle entre enfin sur l'autoroute des tubes à répétition. Dalida représente la femme glamour mais personne n'évolue dans le registre de la tendresse. Loin du jazz et des big bands, elle va chanter pour les femmes, pas les jeunes filles. Nicoletta n'a pas retenu Parlez-moi de lui, Nicole Croisille devient enfin n°1.

Les succès s'enchaînent et son nom brille en rouge sur le fronton de l'Olympia en 1976. Elle impose Louis Chédid et un autre débutant, l'humoriste Pierre Desproges. Toujours impeccable, même si elle ne touche pas au disco, elle devient aussi une icône gay au point d'avoir des clones dans les clubs de travestis. La fin des années 1980 est sombre. Elle se recentre sur le jazz et les chansons de films : ses ventes baissent, elle n'a pas de producteur, pas de maison de disques, quitte son éditeur. Ses sociétés font faillite. Elle fera son retour quinze ans plus tard, en piano voix. Heureusement, il y a (un peu) le cinéma, les séries tv, mais surtout le théâtre. Le 30 janvier 2023, elle faisait sa dernière apparition lors de La nuit de la déprime de Raphaël Mezrahi aux Folies Bergère.