Que disent de nous les tenues que l’on porte chez le psy ?
Une vie est souvent marquée par de nombreux moments où l’on doit sérieusement réfléchir à sa tenue vestimentaire. Avant de partir en date par exemple, peu de temps avant un entretien d’embauche ou lorsqu’on est convié à un dîner chic. En revanche, on imagine moins se mettre sur son trente-et-un avant de se rendre chez le psychologue. Pourtant, Emily, 29 ans, qui en a consulté un pendant quatre ans, a toujours fait un effort avant une séance. «En général, je portais soit des basiques, à savoir un jean, un pull et des sneakers, soit une belle robe en été.» La fleuriste, qui a longtemps souhaité vaincre la mauvaise perception qu’elle se faisait de son corps, a toujours vu le vêtement comme un antidote, une manière de gagner confiance en elle. «Je me trouvais “mal habillée” et ça ne me plaisait pas. Alors j’ai toujours tenté de faire un effort vestimentaire avant un rendez-vous pour m’aider à me sentir mieux.»
Un avis que partage Clémentine, mère de famille en recherche d’emploi. Suivie par une psychologue depuis deux ans, elle s’est imposé quelques règles vestimentaires avant de se rendre en séance. «Je ne pourrais pas me rendre dans son cabinet trop décontractée, en jogging et tee-shirt. C’est une forme de respect vis-à-vis d’elle, je dois être présentable un minimum.» S’il lui arrive de passer la journée chez elle en survêtement, elle a tout de même son rituel avant un rendez-vous. À savoir, porter à minima un jean, des baskets propres et un pull. Une tradition aussi encouragée par le style vestimentaire de sa psychologue. «Elle est toujours bien habillée, avec des vêtements colorés et coordonne parfaitement ses looks. Savoir que je vais passer du temps avec une personne qui fait attention à elle, ça me revitalise.»
L’habit fait le moine ?
Finalement, le vêtement a peut-être une place plus importante qu’on ne le pense dans un cabinet de psychologue. Au point de raconter beaucoup de choses sur nous-mêmes, sans qu’on s’en rende forcément compte. C’est du moins ce que nous confirme Delphine Py, psychologue clinicienne et auteure de la bande dessinée L’envers du divan ! (2024). «En consultation, je ne fais pas toujours attention aux vêtements que portent mes patients, mais ça peut arriver. J’ai remarqué que les personnes déprimées, qui sortent peu de chez elles, font des efforts pour s’habiller. D’autres, qui souffrent de phobie sociale, se masquent avec des vêtements sombres ou classiques. Parfois aussi, cela saute aux yeux : une personne souffrant d’anorexie porte souvent des vêtements très amples, une autre en situation d’obésité évite la couleur… On note des choses, mais là encore c’est très spécifique à chaque situation.»
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Spécialisée dans les troubles anxieux et les thérapies cognitivo-comportementales, Delphine Py ne prend rien pour argent comptant. Les vêtements se présentent donc comme des indices, et non pas comme des éléments qu’il faut surinterpréter. «Notre humeur et nos émotions peuvent influencer nos choix vestimentaires avant une séance, continue-t-elle. À l’inverse, notre façon de nous habiller peut avoir un impact sur notre état d’esprit lors de la consultation. La couleur apporte de la joie par exemple, le costume cravate donne un sentiment de puissance... L’idée est donc de verbaliser avec mon patient, sans tirer de conclusion.»
Delphine Py, psychologue et auteureIl y a toujours un décalage entre l’image qu’on veut renvoyer, et l’image qu’on renvoie. Le vêtement a une fonction sociale, il est là à la fois pour cacher et montrer.
Car un patient peut en effet être amené à s’habiller de façon à éviter de traverser des émotions désagréables. C’est ce que nous confie Fanny, parisienne qui consulte un psychothérapeute depuis 2021. «Je reste toujours très simple et classique lors d’une séance, et je ne suis pas une fille à la pointe de la mode. En revanche, je ne porte pas de robe ou de jupe car mon psychothérapeute est un homme. Même si je suis à l’aise avec lui, je fais toujours attention à ne pas porter de vêtements trop sexy ou tape-à-l’œil. Ça me mettrait tellement mal à l’aise de savoir que je ne peux pas me positionner comme je veux, confortablement sur mon siège, si je suis en minijupe.»
Pour Delphine Py, cet exemple représente une forme de protection, révélatrice ou non. À vouloir trop contrôler son apparence, ou simplement pour se sentir plus en sécurité, un patient peut être amené à porter un vêtement en particulier. Cependant, l’idée renvoyée ne sera pas la même que celle que le patient se fait de lui-même. «Il y a toujours un décalage entre l’image qu’on veut projeter, et celle qu’on renvoie, analyse l’experte. Le vêtement a une fonction sociale, il est là à la fois pour cacher et montrer. Avec le vêtement, il y a certes la fonction pratique, mais aussi l’objet de communication.»
Malek, influenceur modeJe suis convaincu que la mode est une thérapie.
S’habiller pour être heureux
Encore une fois, tout est à prendre avec des pincettes. Évidemment, adopter un look extravagant chez le psy ne signifie pas automatiquement que notre santé mentale est au beau fixe. Inversement, toutes les personnes qui s’habillent en noir ne souffrent pas forcément de dépression. Et si chaque vêtement que l’on porte trahit notre personnalité, notre état d’esprit, nos émotions, le psychologue peut juger utile d’aborder le sujet avec son patient uniquement si le besoin s’en fait ressentir. «Et dans tous les cas, le psychologue est simplement là pour aider, conseiller, mais sûrement pas pour juger», rassure Clémentine.
En revanche, nul doute que la mode peut avoir des effets bénéfiques sur la santé mentale. Raison pour laquelle de nombreuses personnes changent de garde-robe après une rupture amoureuse, ou que plusieurs études démontrent depuis des années que s’acheter des vêtements rend heureux. «Je suis convaincu que la mode est une thérapie, nous livre Malek, créateur de contenu mode. Quand je porte quelque chose de nouveau, de beau, j’ai une montée d’adrénaline. Et puis, le vêtement est l’image de soi que l’on montre tous les jours, ce n’est pas négligeable.»
Pour appuyer son propos, l’influenceur donne l’exemple des nombreuses émissions télévisées spécialisées dans le relooking, significatives d’une époque. «Ce sont des gens mal dans leur peau qui, un jour, demandent de l’aide à des professionnels afin de changer complètement de style. Se réinventer avec un vêtement ça donne une seconde vie, une seconde chance.» Comme ce jour où Delphine Py a proposé à un client qui souffrait d’anxiété sociale de commencer à porter un élément différenciant comme un chapeau, un accessoire coloré. En psychologie, on appelle ça une “exposition”, une technique de désensibilisation qui permet au patient de se confronter à ses peurs. Preuve, s’il en fallait, que tout est communication. Plus encore le vêtement.