Le Figaro Nice
Le meilleur ami de l’homme y réfléchira désormais à deux fois avant de faire ses besoins dans les rues de L’Escarène (Alpes-Maritimes). Dans ce village humide du haut pays niçois, où résident 2500 âmes, la municipalité a pris un arrêté instaurant le fichage ADN des canidés. De sorte qu’il sera bientôt possible de savoir à quel chien appartiennent les déjections laissées sur la voie publique. Une façon peu banale de remonter jusqu’au propriétaire de l’animal pour lui faire payer d’une amende son incivilité.
C’est qu’à L’Escarène, les excréments canins sont un fléau. «L’été surtout, les touristes m’en font la remarque... Dès que quelqu’un à quelque chose de négatif à dire, ça concerne toujours les crottes de chien. Les odeurs surtout ! Car ce ne sont pas les égouts qui empestent dans les ruelles de la commune», commente en ce sens le responsable de la supérette Spar. «Régulièrement je suis obligé le matin de nettoyer moi-même les déjections devant le magasin, c’est aberrant», constate-t-il. Ce dernier fait partie de ceux qui saluent l’initiative prise par la mairie. «Les gens ne comprennent pas. On a beau en parler, faire de l’affichage, des signalements ou dire qu’il y a des caméras de vidéosurveillance, ça ne marche pas. C’est bien beau d’avoir des animaux, encore faut-il savoir s’en occuper vraiment», tance-t-il.
«Les campagnes de sensibilisation ne fonctionnent pas, on en est réduit à employer les grands moyens. Car, oui, c’est bien d’un fléau dont on parle, déplore en ce sens Jean-Claude Vallauri, adjoint à l'urbanisme à la mairie de l'Escarène. Et puis, même si nous sommes une petite commune, on a un gros problème d'identification des propriétaires, ce qui provoque des conflits de voisinage, parfois violents, avec des gens qui s’accusent les uns les autres».
300 euros d’amende
La gérante de «Coiff'toutous», un toiletteur canin de L’Escarène se veut plus mitigée. «Je comprends la démarche, mais je trouve que c’est peut-être un peu beaucoup pour une petite commune comme la nôtre. Et puis ça coûte de l’argent !», explique-t-elle. Et d’ajouter : «Je trouve que ça incrimine les chiens alors que le sujet c’est plutôt l’incivisme désolant des gens».
Les propriétaires de chiens de la commune (une centaine environ) seront bientôt contraints d’aller faire un prélèvement ADN chez le vétérinaire. Un laboratoire se chargera ensuite de conserver l’ensemble des échantillons, qui seront comparés plus tard avec les déjections découvertes sur la voie publique, dans le cadre de cette nouvelle traque aux incivilités. Chaque prélèvement ADN devrait coûter une cinquantaine d'euros à la ville et 300 euros à chaque propriétaire mis en cause. À ce prix-là, peut-être daigneront-ils enfin faire preuve d’un peu de civisme. «Ça devrait coûter entre 3000 et 5000 euros à la commune. Mais cela va surtout nous faire économiser les 25.000 euros que nous coûte en moyenne chaque année le nettoyage des déjections», abonde Jean-Claude Vallauri.
Une initiative qui a déjà fait ses preuves ailleurs
Si l’initiative à de quoi faire sourire ou peut paraître disproportionnée, elle a pourtant été adoptée dans plus dizaines de communes en Espagne et n’est pas inédite en France. Le maire de Béziers, Robert Ménard, l’a instaurée dans le centre historique de sa cité l’année dernière. «On a fait plein de campagnes de prévention et de pédagogie, à chaque fois, on constate du mieux pendant trois semaines mais ensuite les gens reprennent leurs mauvaises habitudes», avait-il confié à France 3 Occitanie en juillet 2023.
En à peine deux mois, dix-huit propriétaires de chiens avaient été verbalisés à Béziers à hauteur de 35 euros pour s'être promenés dans l'hyper centre-ville sans leur «passeport ADN». Des analyses étaient alors en cours sur les déjections canines pour retrouver ceux qui ne les avaient pas ramassées. «Il y a encore des crottes, on ne va pas s'en cacher, mais on est à moins de la moitié parfois, un tiers de ce que les services ramassaient auparavant. Ça veut dire que cette expérimentation est efficace. Mais c'était évident. On n'en a jamais douté», avait encore confié l’édile, satisfait, le 20 novembre au micro de France Bleu Hérault. «Finalement, cette mesure est un peu une allégorie de notre société, celle de l'individualisme, du mépris de l'autre», conclut Jean-Claude Vallauri, un peu désabusé.