Alain Pompidou, fils de l’ancien président, est mort
C’était en 1942, au plus noir de la guerre. Au foyer d’un jeune enseignant, alors inconnu, un enfant nouveau-né était accueilli. Dans Paris occupé et soumis à de terribles restrictions, il fallait du courage et beaucoup d’amour pour agrandir ainsi une famille. Dès lors, le plus heureux des sorts accompagna Alain Pompidou. Avec Claude et Georges, ses parents, il allait former, selon ses dires, un trio indestructible.
Longtemps on ne sut à peu près rien d’Alain Pompidou. C’était le temps heureux où les médias respectaient l’intimité des hommes publics et où ceux-ci s’estimaient tenus à une extrême réserve. On connaissait seulement le brillant parcours de ce médecin, spécialiste des maladies du sang. De 1974 à 2004 il fut professeur à la faculté de médecine de Paris et chef de service de cytologie cytogénétique à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul de 1987 à 2004. À partir des années 1980, il occupa aussi des postes à responsabilité : chargé du dossier sida auprès du ministre de la Santé en 1987-1988, il devint conseiller scientifique auprès de deux premiers ministres : Édouard Balladur et Alain Juppé. Parlementaire européen de 1989 à 1999 puis président de l’Office européen des brevets de 2004 à 2007, il ne sortit du silence qu’après la disparition de sa mère, Claude Pompidou, en 2007.
Rétablir la vérité
Il avait été le plus proche témoin de la vie de son père mais l’extrême pudeur de sentiments dont il avait hérité le dissuadait de s’exprimer. Il ne se décida à livrer son témoignage qu’il y a une douzaine d’années lorsqu’il me demanda de publier avec lui quantité d’écrits inédits de Georges Pompidou, en particulier une passionnante correspondance avec son ami de jeunesse Robert Pujol (Georges Pompidou. Lettres, notes et portraits, Robert Laffont 2012 et Tempus Perrin 2024).
Alain Pompidou s’employa alors à rétablir la vérité sur son père et notamment sur la maladie qui l’emporta le 2 avril 1974 et dont les prémices étaient apparues au lendemain des événements de mai 1968. Contrairement à une légende, Alain ne soignait pas directement le président. En contact constant avec l’équipe médicale dirigée par le professeur Jean Bernard, sa mission était de lui apporter un soutien psychologique. Rôle très difficile et délicat car il était à l’époque impossible de prévoir le cours probable du mal inexorable et par la suite d’informer utilement le chef de l’État. On imagine la terrible solitude d’Alain Pompidou, contraint au silence, y compris vis-à-vis de sa mère qui, jusqu’au bout, voulut nier la fatalité.
En prenant la plume, Alain Pompidou entendait aussi dissiper des malentendus au sujet des relations entre son père et le général de Gaulle. Il ne niait pas la distance qui peu à peu s’était installée entre les deux hommes, longtemps inséparables. Il situait même très précisément la première fêlure entre eux en 1965, quand le fondateur de la Ve République avertit très tardivement son premier ministre de son intention de solliciter un nouveau mandat. Il ne cachait pas non plus la blessure ressentie par Georges Pompidou en mai 1968 lorsqu’il se sentit désavoué dans sa gestion des troubles ni évidemment sa déception quand, peu après, au moment de la terrible affaire Markovic, il devina qu’il n’était pas soutenu. Mais tout cela, soulignait-il, n’empêchait pas son père de porter la plus sincère admiration à celui qui l’avait « révélé à lui-même » et dont il se voulut le continuateur, acharné à préserver le meilleur de son héritage.
Ses dernières années, assombries par de cruelles épreuves, Alain Pompidou les consacra à mettre en ordre avec énergie les archives privées de son pèreAmi incomparable, dévoué, chaleureux, Alain Pompidou ne se lassait pas de rappeler la chance qu’il avait eue d’entrer dans la vie épaulé par de tels parents. Très attentif au devenir du Centre Pompidou dont il fut longtemps administrateur, il évoqua dans un ouvrage (Pour l’amour de l’art, Plon, 2017) la passion du couple présidentiel pour l’art moderne. À sa mère, dont il s’attacha à poursuivre l’œuvre en veillant sur la Fondation Claude Pompidou présidée aujourd’hui par Claude Chirac, il consacra en 2016 un livre de souvenirs (Claude. C’était ma mère, Flammarion) avant de renouveler dernièrement le même exercice pour dire sa dette envers son père (C’était Georges, mon père, Robert Laffont 2023).
Ses dernières années, assombries par de cruelles épreuves, Alain Pompidou les consacra à mettre en ordre avec énergie les archives privées de son père, riches de correspondances avec presque tous les grands écrivains et artistes de son temps. Ce trésor dont il se voulait le gardien vigilant est maintenant en ordre aux Archives nationales. La mémoire de Georges Pompidou, ce grand président que les Français redécouvrent, lui doit beaucoup. Peu d’héritiers d’un grand nom se sont montrés plus dignes que lui.