Notre critique de Life of Chuck: Stephen King avec douceur

Professeur de lettres dans un lycée américain, Marty Anderson (Chiwetel Ejiofor) a bien du mérite de vouloir faire découvrir les secrets du poème Chanson de moi-même de Walt Whitman. Son auditoire n’est pas attentif. Les élèves ont les yeux rivés sur leurs portables, en quête d’informations. Suite à un immense tremblement de terre, la Californie s’effrite et tombe dans l’océan, les rares terres agricoles encore exploitables sont ravagées par les feux. Des volcans sont entrés en éruption en Allemagne, tandis que l’Europe est en proie aux inondations. Même internet ne devrait pas résister longtemps à ce chaos planétaire qui transforme les hôpitaux, désertés par les médecins, en morgue : les taux de suicide sont affolants.

C’est sur un air de film catastrophe que s’ouvre Life of Chuck . Mais très vite cette adaptation par Mike Flanagan de la nouvelle de Stephen King prend un virage bien plus poétique et surréaliste. Qui est ce mystérieux Chuck, dont les publicités envahissent le quotidien de Marty ? Panneaux, spots à la radio et à la télévision montrent ce comptable souriant (Tom Hiddleston) vêtu d’un costume terme, et le remercient pour « ces 39 fabuleuses années » de service. Alors que le compte à rebours vers la fin du monde est enclenché et que les phénomènes inexplicables autour de Chuck se multiplient, Marty et son ex-femme mènent l’enquête.

Comme la nouvelle de Stephen King, dont Mike Flanagan est un fin connaisseur pour avoir porté à l’écran plusieurs œuvres, dont le maudit Doctor Sleep, Life of Chuck se déroule de façon antéchronologique. Du plus récent au plus ancien. Le premier acte du film, qui semble au départ totalement déconnecté du reste de l’intrigue, est en fait la conclusion du récit, portrait d’un homme ordinaire. Le spectateur découvre Chuck dans la seconde partie du film. Adulte, il participe à une conférence. Alors qu’il revient à son hôtel, la vue d’une musicienne de rue lui donne envie de danser comme un possédé et d’inviter comme cavalière une inconnue qui passe. Cette séquence de danse entraînante et entêtante, où la gravité et les soucis du quotidien s’envolent, est une des plus belles du septième art depuis les pas de deux de Ryan Gosling et Emma Stone dans La La Land. Vilain petit canard des Avengers de Marvel où il incarne le facétieux et retors Loki, Tom Hiddleston épate par son agilité.

Force des souvenirs

Ce moment de grâce, hors du temps, capture et résume la poésie et l’émotion fulgurante nichées dans cette fable métaphysique, dont le dernier acte replonge dans l’enfance de Chuck et donne les clés pour comprendre le spectacle qui se déroule sous nos yeux. Les jeunes années du gamin sont moins lisses que ne le suggère son parcours de comptable. Orphelin, Chuck est élevé par ses grands-parents, qui éveillent son intérêt pour la danse, les étoiles et les maths. Ce duo, campé par Mia Sara et un Mark Hamill en grande forme et à mille lieues de Luke Skywalker de la Guerre des étoiles, lui interdit l’accès à la coupole de leur maison victorienne. Cette pièce mystérieuse est source de curiosité et de peur pour Chuck.

Né de l’esprit de deux maîtres de l’épouvante, Stephen King et Mike Flanagan, auteur de la série d’anthologie The Haunting pour Netflix, Life of Chuck a bien quelques accents paranormaux mais ne verse jamais dans l’horreur. Au contraire ! Malgré le contexte apocalyptique, le film est traversé par l’optimisme et la gratitude. Mike Flanagan rappelle que dans chaque vie, même la plus banale, réside une existence extraordinaire, des sentiments et un émerveillement sincères. Le réalisateur et son héros exaltent la force des souvenirs, la manière dont la vie prend tout son sens au fil du temps, des moments et des rencontres, même éphémères, qui la jalonnent. C’est en regardant en arrière que les connexions et les visages familiers surgissent. L’utilisation comme un leitmotiv de Chanson de moi-même de Walt Whitman et de son vers « Je contiens des multitudes » est tout sauf gratuite. Présenté en avant-première, en septembre dernier, au Festival de Toronto, Life of Chuck en est reparti avec le prix du public. Difficile effectivement de résister à tant de charme et de délicatesse.


La note du Figaro : 3/4