Guerre commerciale : la Chine mieux armée qu’en 2018 pour affronter Donald Trump ?
Bis repetita, mais pas tout à fait. L’escalade actuelle des tensions tarifaires entre les États-Unis et la Chine a un petit air de déjà-vu. Les deux superpuissances se sont déjà affrontées dans l’arène commerciale en 2018 durant la première présidence de Donald Trump.
À l’époque aussi, Pékin et Washington se répondaient œil pour œil, droits de douane pour droits de douane. Ils suivent une partition très similaire depuis l’annonce, mercredi 2 avril, par le président américain de barrières tarifaires sur les importations du monde entier ou presque.
Donald Trump a commencé par imposer des droits de douane de 34 % sur tous les produits chinois importés, qui étaient déjà taxés à hauteur de 20 %. Deux jours plus tard, Pékin a décidé de faire de même, provoquant l’ire du président américain. "La Chine a, en effet, été le seul pays à annoncer aussi rapidement des mesures de rétorsion", précise Xin Sun, spécialiste de l’économie chinoise au King’s College de Londres.
Retour de la loi du Talion
Le locataire de la Maison Blanche a alors menacé d’ajouter une ration supplémentaire de droits de douane de 50 % si la Chine persistait dans son intention de rétorquer. Ce qui reviendrait à taxer l’ensemble des biens en provenance de la première puissance d’Asie à 104 %.
Pékin n’a pas semblé impressionné pour autant, se bornant à assurer que la Chine était prête à "se battre jusqu’au bout", a indiqué le ministère chinois du Commerce, lundi 7 avril.
La logique de l’escalade et de la loi du Talion semblent donc avoir fait son grand retour entre les deux pays. Cependant, la comparaison a ces limites tant "les situations sont très différentes" avec des pays qui ont des avantages et inconvénients distincts de 2018, assure Xin Sun.
À commencer par la situation économique chinoise. "La Chine est plus fragile et les droits de douane vont rendre le contexte économique encore plus difficile, surtout si une récession mondiale s’installe", résume Johannes Petry, spécialiste d'économie politique et des marchés financiers chinois à l'université Goethe de Francfort. En 2024, la Chine a difficilement atteint les 5 % de croissance, ce qui correspondait à l'objectif officiel que s'était fixé Pékin. Un niveau faible au regard des standards chinois, qui a longtemps été habitué à des taux de croissance à deux chiffres.
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Pour cet expert, l’analyse de la seule conjoncture économique peut suggérer que "la Chine se retrouve davantage en position de faiblesse". Surtout que le pouvoir craint des troubles sociaux liés à la colère d’une population qui découvre le chômage et la baisse du niveau de vie. Il y avait déjà eu des manifestations peu après la sortie de la crise sanitaire du Covid-19, et "les autorités vont être soumises à une pression intense pour minimiser le coût économique de cette guerre commerciale", assure Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège.
Donald Trump a aussi les mains plus libres qu’en 2018 : il n’y a personne dans son administration pour calmer ses ardeurs tarifaires. Lors de son premier mandat, les "adultes dans la pièce" - le surnom donné à certains conseillers un peu plus modérés tels que le chef de cabinet John Kelly, et le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster - ont empêché Donald Trump de pousser le bouchon trop loin.
"Posture du fou" vs préparation chinoise
Rien de tel cette fois-ci avec un fan club de Donald Trump en lieu et place de gouvernement. Les pays - Chine en tête - frappés par la foudre tarifaire américaine ne peuvent donc espérer la présence d'un modérateur dans l’entourage du locataire de la Maison Blanche. Plus que jamais, Donald Trump peut appliquer la "posture du fou", stratégie diplomatique chère à l’ex-président américain Richard Nixon qui consiste à faire croire à son interlocuteur qu’on est capable de tout.
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Washington a aussi décidé, dans sa boulimie de droits de douane tous azimuts, de viser tout particulièrement les pays - comme le Mexique, ou le Vietnam - que les exportateurs chinois avaient utilisés comme intermédiaires pour contourner les droits de douane en 2018.
Cependant, Donald Trump se lance à l’assaut d’un rival "mieux préparé qu’en 2018, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas pris par surprise", note Marc Lanteigne. En effet, après la victoire de Joe Biden en 2020, "Pékin a constaté que les États-Unis continuaient à appliquer la plupart des droits de douane instaurés par Donald Trump, ce qui a convaincu les autorités chinoises qu’il fallait préparer le pays à prendre davantage ses distances économiques avec les États-Unis", poursuit le politologue.
Mission en partie accomplie : "en 2018, près de 20 % des exportations chinoises étaient destinées au marché américain contre 14 % environ actuellement", résume Xin Sun. Cette réorientation depuis quelques années du commerce chinois fait que dorénavant "les échanges avec les pays émergents pèsent davantage que ceux avec les pays du G7", ajoute Johannes Petry.
La Chine a probablement également plus de munitions que les États-Unis pour limiter les dégâts économiques d’une guerre commerciale. "Le gouvernement chinois dispose encore d’importantes marges de manœuvre fiscale et monétaire pour venir au secours de son économie le cas échéant", assure Johannes Petry.
Aux États-Unis, en revanche, le déficit est passé d’un peu moins de 4 % en 2018 à plus de 6 % en 2024. Le gouvernement américain sait qu’en cas de récession, il ne dispose pas des mêmes réserves qu’en 2018.
Escalade jusqu'où ?
En outre, "cette fois-ci Donald Trump a tapé très fort d’entrée avec ces droits de douane", note Xin Sun. Pour cet expert, "les produits frappés par des taxes de plus de 50 % ne sont déjà plus compétitifs sur le marché nord-américain, donc si Donald Trump décide une hausse supplémentaire de ces barrières tarifaires, cela ne fera pas une grande différence".
La Chine s’est ménagée davantage d’options pour faire monter la pression. Ainsi, elle a commencé à mettre en place des restrictions "sur certaines terres rares [des minéraux importants pour la fabrication de produits high-tech et pour les voitures électriques notamment, NLDR], mais peut encore en inclure davantage", assure Xin Sun. Les États-Unis importent 80 % de leurs besoins en terres rares de Chine.
La principale option américaine pour garder l’initiative dans l’escalade des tensions serait, hormis l’imposition de droits de douane toujours plus élevés, "d’imposer des sanctions financières et économiques similaires à ce qui a été fait pour la Russie", juge Johannes Petry. Mais de l’avis des experts interrogés par France 24, même si ce n’est pas à exclure totalement, ce serait une mesure de dernier ressort.
"Si Donald Trump n’avait pas décidé d’imposer des droits de douane à la plupart de ses alliés, peut-être aurait-il pu compter sur eux pour augmenter la pression sur la Chine", estime Marc Lanteigne.
En fait, l’attitude des autres pays à l’égard des deux géants reste la principale inconnue de cette nouvelle guerre commerciale. "Si les États-Unis réussissent à imposer aux autres pays de mettre un terme à leurs droits de douane si ils se rangent derrière eux dans la guerre commerciale contre la Chine, c’est le pire scénario pour Pékin", assure Xin Sun. Si la Chine réussit à l’éviter, elle sera clairement en meilleure posture qu’en 2018. C’est, pour Marc Lanteigne, la raison pour laquelle la Chine a décidé de réagir vite et fort : "elle ne peut pas se permettre d’apparaître faible". "C’est aussi un message adressé aux autres pays pour leur dire que la Chine ne tolérera pas ce genre de comportement commercial", conclut Xin Sun.