«Tramp - Escale à haut risque», un capitaine dans la tourmente

Depuis plus de trente ans, la série Tramp créée en 1993 par le regretté Patrick Jusseaume (1951-2017) et Jean-Charles Kraehn, a eu le temps de devenir l’une des plus magistrales sagas maritimes de la BD. Discrète mais incontournable, elle est appréciée du grand public comme le montrent les chiffres de vente.

Écoulés à plus de 770.000 exemplaires, les différents cycles de cette bande dessinée d’aventure en forme de thriller maritime mettent en scène un capitaine au grand cœur nommé Yann Calec. La série a connu un drame lorsque son dessinateur Patrick Jusseaume est tombé gravement malade. Après sa mort en 2017, Tramp connaît une interruption de presque dix années. Finalement, c’est l’Italien Roberto Zaghi qui reprend le dessin de la saga en 2021 avec Traquenard en mer paru en 2022.

Le tome 14, Escale à haut risque, tiré à 22.000 exemplaires, est paru il y a trois semaines. Il caracole déjà en tête des ventes. L’album réactive clairement la saga. Yann Calec est avant tout un héros classique de la BD franco-belge. Breton de naissance, marié et père d’une petite Inès depuis quelques albums, ce capitaine de la marine marchande évolue dans le droit fil d’un Corto Maltese.

Son cocréateur Jean-Charles Kraehn ne dit pas le contraire : «Oui, même pour moi, le personnage de Yann Calec demeure un personnage mystérieux, confie le scénariste de la série. Au départ, c’est l’intrigue plus que le personnage qui dictait le déroulement de chacun des albums. Au fil des cycles, africain puis indochinois, je me suis mis à solliciter les souvenirs de marins avec qui je discutais pour me documenter. Mais si Calec possède une caractéristique principale, c’est bien la rectitude. Avec sa vareuse à boutons dorés et sa casquette de marin, Yann Calec est un héros à l’honnêteté foncière. C’est un type droit, un homme de parole et un bon capitaine. La mer ne ment pas, les vrais marins le savent.»

Pour la série Jean-Charles Kraehn s’est inspiré de son grand-père Charles Kraehn mécanicien sur les bateaux de pêche en Bretagne. «Alsacien d’origine, mon grand-père se prénommait en réalité «Karl» avant de franciser son prénom. Il aura connu une jeunesse agitée et bourlingué à travers le monde avant de se fixer à Saint-Malo», raconte son petit-fils.

Situé en 1953, ce nouvel album débute à Rouen, port d’attache de Calec qui est retourné s’occuper de sa petite famille. Bientôt, notre cher capitaine est obligé de reprendre du service par le milieu de la pègre rouennaise qui le fait chanter à double titre. Calec et son équipage doivent mener un vieux cargo à Porto Rico dans les Caraïbes. Mais rien ne va se passer comme prévu...


LA CASE BD

La planche 56 du tome 14 du polar maritime Tramp, initié par Jean-Charles Kraehn et Patrick Jusseaume, est désormais dessinée par Roberto Zaghi. © Dargaud 2025

La planche de la page 56 met en scène une terrible tempête. Yann Calec et le jeune aide-mécanicien «Muchacho» sont pris au piège d’un cargo en perdition en grosse difficulté. Le tout en pleine tempête.

«Dans le premier strip de trois cases de cette planche, décrypte Jean-Charles Kraehn, on commence par mettre les deux personnages en situation. Terrifié, le «Muchacho» demande à son commandant ce qu’ils doivent faire. Calec tient dans sa main un Talkie-walkie dont il se sert pour communiquer avec son équipage venu lui porter secours sur l’autre cargo. J’ai voulu rendre cette opération de sauvetage la plus crédible possible. La deuxième case prend du champ pour montrer la situation générale. Le plan est simple: «Gros-bras» le grand costaud de l’équipage lance un grappin entre les deux bateaux et va aider les deux hommes à revenir sur le Pierrick. La troisième case montre Calec qui saute dans l’eau, accroché au filin...»

Le premier strip de la page 56. © Dargaud 2025

Dans le strip central, le dessinateur Roberto Zaghi met en scène une énorme vague menaçante qui s’engouffre entre les deux cargos. «Dans cette séquence d’action qui prend place dans une mer déchaînée, analyse le scénariste, je savais que Roberto voulait privilégier la case 5 et dessiner une grande image qui frappe les esprits. Nous avons beaucoup discuté. Mais comme me l’a appris Jean-Michel Charlier : «Au final, c’est toujours le dessinateur qui a le dernier mot.» J’étais un peu inquiet. Mais lorsqu’il m’a envoyé les premiers story-boards, j’ai su que ça allait être une grande et belle planche. Gros Bras tire le filin avec le reste de l’équipage. Calec s’agrippe désespérément à la corde. Quelque part dans cette planche, je voulais signifier que la vie du héros ne tient qu’à un fil!» (Rires).

Le strip central de la page 56. © Dargaud 2025

Le dernier strip de la page montre le héros en fâcheuse posture, ballotté par les flots déchaînés alors que la grande vague s’est abattue sur lui. «Calec est inconscient, raconte Jean-Charles Kraehn. La vague l’a poussé à se fracasser contre la coque du navire. Ayant perdu conscience, il sombre dans les profondeurs de la mer. Patricia Jambers, la coloriste de l’album qui est aussi ma femme a fourni un gros travail sur les couleurs. L’eau est ici d’un bleu gris très sombre. Plus le personnage s’enfonce, plus le bleu s’assombrit. Cette planche d’action est caractéristique de la série Tramp. Dans cette saga, il faut que l’action se déroule d’une manière ou d’une autre dans l’océan. L’aventure se passe en mer, c’est incontournable. Un peu comme dans le western, il faut un duel ou une poursuite à cheval, ou dans le polar un braquage de banque! Et bien sûr, comme dans tout album de BD franco-belge, la planche se termine par un suspens. C’est Hergé, grand précurseur du 9e art qui a mis en place cette grammaire de l’image. Elle reste toujours valable aujourd’hui...Et diablement efficace!»

Le dernier strip de la planche. © Dargaud 2025

Tramp Tome 14, Escale à haut risque , par Jean-Charles Kraehn et Roberto Zaghi, éditions Dargaud, 17,95 €.