Philippe Villeneuve, l’architecte qui a redonné vie à Notre-Dame de Paris

La pointe de la flèche de Notre-Dame de Paris se dessine sur son poignet. Difficile, dans cette salle de restaurant jouxtant la cathédrale, de lui demander de relever sa manche pour admirer le reste du tatouage, qui court jusqu’à l’épaule, ainsi que la grande rose tatouée sur son torse. Qu’importe ! la peau marquée de Philippe Villeneuve prouve le lien charnel qui unit l’architecte en chef à « son » monument.

Après avoir passé cinq ans intenses à son chevet, où il s’est mis entre parenthèses de la « vraie vie », il va bientôt « rendre les clés » à qui de droit. Symboliquement, il quittera un royaume sur lequel il a régné, afin de laisser la place aux messes et aux foules. Le syndrome du post-partum le guette ; à tout le moins un coup de décompression, lui qui est connu pour faire des montagnes russes.  

Marathon de cérémonies et de messes

Pour l’heure, alors qu’il vient de sortir de la nef de Notre Dame, il n’a que le mot de « magnifique » à la bouche. Blondeur retrouvée des murs, chapelles rehaussées de couleurs, pavés refaits, voûtes refermées avec brio… Tout, dans cette restauration, lui semble réussi. « J’adore l’autel contemporain imaginé par l’artiste Guillaume Bardet. Comme le monolithe du film 2001 l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, il peut tout aussi bien représenter Dieu, l’esprit ou l’intelligence », s’enthousiasme-t-il. Le marathon des séquences liées à la réouverture, qui démarreront lors de la visite présidentielle du 29 novembre et s’achèveront par des messes début décembre pour les compagnons et les mécènes, le réjouit par avance – il compte être de toutes les parties.

Notre-Dame de Paris, objet de toute son admiration depuis son enfance, et dont une grande maquette trône dans son appartement, tient une place à part dans sa vie. Elle l’a structuré, littéralement. Ne disait-il pas, au soir de l’incendie du 15 avril 2019, que « l’homme enfant de 50 ans » qu’il était jusque-là, s’était brusquement effondré ?  

Délai audacieux

Avec Jean-Louis Georgelin, président de l’établissement public, et Emmanuel Macron, lors d’une visite en avril 2023. SARAH MEYSSONNIER / AFP

De manière un peu crâne, il assure aujourd’hui n’avoir jamais douté que cinq ans pour restaurer la cathédrale était un délai raisonnable, « pour peu que l’on sache ce qu’il fallait faire ». Poussé dans ses retranchements, il admet tout de même avoir trouvé « audacieux » ce délai joué comme un coup de poker par le président de la République, au soir de l’incendie.

Personne, encore aujourd’hui, ne sait qui a soufflé ce chiffre à Emmanuel Macron, mais ce n’est pas Philippe Villeneuve. Dès le 16 avril, devant quelques entreprises éberluées, il s’est tout de même mis à dessiner sur un tableau les grandes étapes d’un chantier quinquennal. « Il avait tout le schéma en tête, c’était impressionnant », raconte l’un des témoins.

L’honnêteté vise à dire que Philippe Villeneuve a eu ses moments de doute. Pas tant sur les origines de l’incendie, puisqu’il n’a jamais soupçonné les entreprises d’avoir failli. « J’ai fait mon enquête, elles n’avaient rien à se reprocher, je leur ai fait confiance et nous avons avancé » tranche-t-il. Au fil des années, ce sont plutôt la contamination du site au plomb, les rafales de vent, la crise sanitaire, les valses hésitations autour d’une restauration de la flèche qui ont pu mettre sous pression les équipes.

La fraternité n’a jamais failli, les entreprises se sont montrées loyales, et tout a reposé là-dessus

En 2022, le chantier bruissait de rumeurs, et nombreux sont ceux qui pensaient ne pas y arriver à temps. L’architecte en chef, qui possède un petit côté soupe au lait, se sera agité, aura tonné, pris des jours de congés inopinés, réclamé qu’on l’écoute, dénoncé l’incurie de l’un puis de l’autre. A ses côtés entre 2019 et 2023, le général Georgelin, autre personnalité forte en gueule, l’appréciait, voire l’admirait, tout en le marquant à la culotte. Qui, entre l’architecte et le président de l’établissement public pour la restauration de la cathédrale, était le vrai patron ? Philippe Jost qui a succédé au général après son décès tragique, se montrera plus discret. Il respectera l’architecte pour sa connaissance intime du monument, et dans la dernière ligne droite, ces deux-là ont su s’entendre.

Une fraternité sur le chantier

Passé les aléas, les choses se sont faites, les difficultés ont été contournées. Aux côtés de Philippe Villeneuve, Rémi Fromont s’est centré sur les charpentes et Pascal Prunet s’est attaché au chantier des voûtes. Le trio des architectes, avec leur personnalité propre, a entraîné derrière lui les centaines d’entreprises. « La fraternité n’a jamais failli, les entreprises se sont montrées loyales, et tout a reposé là-dessus », se félicite Philippe Villeneuve. Les travaux se sont déroulés sous de bons auspices, les 846 millions d’euros récoltés ayant permis de mettre de l’huile dans bien des rouages. Sur place, l’ambiance, décrite par tous comme collective, a galvanisé tout le monde. « Pendant 5 ans, on était tous mélangés, quels que soient les grades, les couleurs et la religion », assure l’architecte. À midi, les cafés et restaurants des alentours, dont le Quasimodo ou le Bougnat, voyaient débouler des groupes compacts de compagnons buvant à la santé du « chantier du siècle ». Philippe Villeneuve n’était le dernier à lever son verre de vin blanc.  

Le 9 décembre au matin, pour la première fois depuis cinq ans, ce dernier ne prendra pas le chemin de la « base vie », bâtiment éphémère lié au chantier. Puis, en principe, les travaux sur la façade ou la sacristie devraient reprendre au printemps 2025 et l’occuper jusqu’à la retraite. Il sait bien, de toute façon, que ces cinq ans exceptionnels n’auraient pas été duplicables, ailleurs. Restaurer Notre-Dame est l’œuvre d’une vie.

« C’est en partie l’incendie du 15 avril qui a fait Notre-Dame de Paris, ou du moins, qui a confirmé sa place de cathédrale monde. Ce lieu de pouvoir et de sacralité possède une aura particulière que n’a aucune autre cathédrale », estime-t-il. Il lui restera à méditer sur la vie, l’incendie et le décès brutal du général l’ayant convaincu que « tout était vanité »