23 minutes d’ovation à l’issue de la projection officielle. La Voix de Hind Rajab a bouleversé la Mostra de Venise en septembre dernier. Le film de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania est reparti avec le Grand Prix du Jury, alors que les festivaliers lui promettaient le lion d’or, finalement échu à Father Mother Sister Brother, film à sketchs chic de Jim Jarmusch. À croire qu’Alexander Payne, président du jury américain peu porté sur la politique, a un cœur de pierre.
Le 29 janvier 2024, Hind Rajab, fillette palestinienne de 6 ans, est tuée avec des membres de sa famille alors qu’ils tentent de fuir le quartier de Tall al-Hawa dans le nord de Gaza. Leur voiture est retrouvée le 10 février criblée de balles, après le retrait de l’armée israélienne. L’affaire a ému le monde entier.
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Passer la publicitéKaouther Ben Hania ne ménage pas moins un suspense douteux autour de l’issue tragique de Hind Rajab. Il faut attendre les dernières minutes, après plusieurs rebondissements et faux espoirs, pour connaître son destin funeste, ainsi que celui du secouriste et du conducteur de l’ambulance morts dans l’opération de sauvetage. Des photos des véhicules déchiquetés et des vidéos des corps emballés dans des couvertures attestent la violence de l’attaque.
70 minutes d’enregistrement
Ce ne sont pas des images mais un son qui se trouve au cœur de la fiction de Kaouther Ben Hania. La réalisatrice des Filles d’Olfa a obtenu les 70 minutes d’enregistrement de la conversation téléphonique entre la fillette et l’équipe du Croissant-Rouge palestinien, basé à Ramallah, en Cisjordanie. Avant de mourir, Hind, blessée, entourée de cadavres dans l’habitacle de la voiture, cernée de chars israéliens, est restée plusieurs heures en ligne, implorant qu’on vienne la secourir.
Dans le huis clos des bureaux du Croissant-Rouge, des acteurs et actrices rejouent le drame. Le premier interlocuteur de Hind Rajab est Omar. L’homme semble découvrir la difficulté de travailler dans cette zone. Il ne peut contenir son émotion. Yeux rougis, tremblements de lèvres, froncements de sourcils, toute la panoplie du pathos passe sur son visage. Ses collègues ne sont pas moins sensibles mais Omar est le plus éruptif. Il se dispute souvent avec son collègue Mahdi, chargé d’envoyer l’ambulance qui pourra secourir l’enfant. Il l’accuse de lenteur, d’incompétence, de collaboration avec l’ennemi israélien.
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Omar paraît ignorer la procédure de sauvetage des civils par le Croissant-Rouge. Mahdi prend le temps de lui expliquer, et la leçon vaut pour le spectateur. Pour obtenir un itinéraire sécurisé, le Croissant-Rouge doit passer par la Croix-Rouge, dont le bureau se situe à Jérusalem, qui elle-même doit obtenir l’aval de la Cogat (acronyme de l’anglais Coordinator of Government Activities), l’unité de défense israélienne chargée d’administrer les civils dans les Territoires palestiniens occupés. Arbitraire et kafkaïen. Pour didactique qu’il soit, cet aspect est sans doute plus intéressant que la martyrologie tire larmes que Kaouther Ben Hania déroule, imperturbable.