Les talibans se présentent comme des défenseurs du patrimoine afghan

Mars 2001: Les talibans choquent le monde en dynamitant les bouddhas géants de Bamiyan, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco dès 2003. Deux décennies plus tard, de retour au pouvoir, ils affirment leur intention d’améliorer la préservation du patrimoine plurimillénaire afghan, dont les reliques pré-islamiques.

«Chacun a l'obligation de protéger, surveiller et préserver fermement» ces vestiges, qui font partie de «l'identité et de la riche culture» afghanes, ont déclaré les talibans en février 2021, avant leur prise de pouvoir l’été suivant. On assiste depuis, à une multiplication des découvertes archéologiques, notamment bouddhistes.

Des cavités taillées dans d’énormes pierres du village de Gowarjan, à l’est de Kaboul, datant de l’époque de l’Empire kouchan (Ier - IIIe siècle), ont été mises à jour. Ces dernières étaient utilisées comme celliers. Ont ainsi été découvertes des inscriptions en brahmi, une vieille écriture indienne, dans une grotte et une dalle creusée utilisée pour la vinification, qui est restée intacte.

«On dit que l'histoire des Afghans est vieille de 5.000 ans, ces zones antiques le prouvent, il y avait des habitants ici», déclare Mohammed Yaqoub Ayoubi, chef du département provincial de la Culture et du Tourisme, à l’AFP. «Qu'ils aient été musulmans ou non, ils avaient ici un royaume», souligne-t-il, et «l'émirat islamique » - nom donné par les talibans à leur État - accorde «beaucoup d'attention» à la préservation de ces sites.

À Ghazni, au sud-ouest de Kaboul, des statuettes bouddhiques retrouvées récemment doivent être «protégées et léguées aux prochaines générations car elles font partie de notre histoire», assure à l'AFP Hamidullah Nissar, responsable de l'Information et de la Culture. Elles auraient eu un destin complètement différent il y a 25 ans.

Enthousiasme surprenant

Le mollah Omar, fondateur et leader suprême des talibans, avait ordonné en 2001 de démolir toutes les statues bouddhistes afin de prévenir la réapparition de «l’idolâtrie » d’avant l’islam. Quelques jours plus tard, les immenses statues bouddhistes de Bamiyan, taillées dans une falaise, furent réduites en poussière, sans que l’indignation des étrangers n’affecte les talibans. «On pensait, lorsqu'ils sont revenus, qu'ils n'auraient aucune considération pour les sites historiques», se souvient Mohammed Nadir Makhawar, directeur de la conservation du patrimoine de Laghman.

Auparavant dévasté par les talibans, le musée national de Kaboul a été rouvert par ce groupe en décembre 2021. L’année suivante, ils ont eux-mêmes fait appel à la Fondation Aga Khan pour la Culture (AKTC) afin de préserver l’ancienne cité bouddhiste de Mes Aynak, située sur un gisement de cuivre destiné à être exploité par un consortium chinois. «C’était inattendu», reconnaît Ajmal Maiwandi, président d’AKTC-Afghanistan, qui évoque même un «enthousiasme» de la part des autorités. «Je pense que les talibans ont bien compris à quel point la destruction des bouddhas de Bamiyan avait nui à leur réputation», avance Valéry Freland, directeur d'Aliph, l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit.

Depuis leur premier règne (1996-2001), plusieurs accords concernant le patrimoine ont été signés par l’Afghanistan, notamment la Déclaration sur la Protection du Patrimoine Culturel en Afghanistan. Mais d’après le Devoir, «personne au sein du régime n’est apte à faire des négociations avec les organisations internationales. Tous les fonds internationaux sont suspendus. Lorsque cela est possible, les agents de l’UNESCO se réfugient auprès des rares ONG encore en activité sur le terrain et des communautés locales.» Or, depuis 2016, sa destruction peut être considérée comme un crime de guerre, entraînant des poursuites internationales.

Selon un spécialiste, ce patrimoine représente pour le gouvernement - toujours non reconnu par aucun pays au monde - «un levier potentiel de développement touristique et économique du pays». Il souligne néanmoins que les dirigeants talibans sont confrontés à un déficit de ressources.

Selon une étude de l’Université de Chicago publiée dans la revue américaine Science fin 2023, les talibans font également face à de nombreux actes de pillage. Dans le petit musée de Laghman, de fragiles statuettes découvertes l’année dernière dans la cour d’un fermier ne sont protégées que par du papier journal et un sac en plastique.

Selon l’AKTC, en Afghanistan, un pays déjà marqué par quarante ans de conflit, «la situation peut changer rapidement» et nécessite un «optimisme prudent». Mais bien que les autorités aient permis à des groupes de préservation du patrimoine de rénover la synagogue d’Hérat, à l’ouest du pays, elles demeurent réticentes à autoriser l’accès aux médias. Et, convient-il de rappeler, une interprétation extrêmement rigoureuse de l’islam conduit les talibans à proscrire la musique, la danse ou encore la photographie, et tant d’autres formes immatérielles du patrimoine culturel mondial.