Notre critique de Pelléas et Mélisande : Wajdi Mouawad reste sans voix

Quelle déception ! Wajdi Mouawad ferait-il partie de ces hommes de théâtre paralysés dès qu’ils abordent l’opéra ? Il est vrai que sa tâche était lourde : succéder à Bob Wilson, dont l’indémodable production de Pelléas et Mélisande s’était maintenue au répertoire de l’Opéra de Paris pendant trois décennies.

Las, le metteur en scène d’origine libanaise, dont le théâtre est si vivant et incarné, n’a rien eu à dire sur Debussy et Maeterlinck. Si ce n’est que les deux amoureux mythiques y ont accès à un niveau spirituel et transcendant qui reste fermé aux autres personnages, enfermés dans le réel. Base de départ qui en est restée au stade d’un récit linéaire et littéral, très plat.

Tellement littéral qu’on nous montre ce qui d’habitude n’est que suggéré. Le sanglier chassé par Golaud avant le lever de rideau, le cheval effondré sont visibles sur scène, rejoints par des carcasses d’animaux dépecés qui justifient « l’odeur de mort qui monte » dans les souterrains de ce château hanté par le sang et la pourriture.

L’écran sur lequel se reflètent pensées et situations est plus illustratif encore : paysages aquatiques et forestiers d’un grand prosaïsme, que ne vient pas sauver un jeu d’acteur statique. Et voilà de l’eau au moulin de ceux qui s’ennuient à Pelléas, chef-d’œuvre pourtant si envoûtant.

En panne de souffle et de mots

Si les personnages ne prennent jamais vie par le drame, ils ne le font pas non plus vocalement, car les voix sont avalées tout cru dans cet espace vide. Première victime : Sabine Devieilhe, que l’on n’entend tout simplement pas au rang 11 du parterre. La mise en scène ne lui permet pas d’exister, mais le chant non plus, seul l’aigu passant peu ou prou la rampe. Or Mélisande n’est pas un rôle très aigu. Si l’on ne perd pas le texte, c’est parce qu’il est projeté toute la soirée sur le décor, solution de facilité qui dispense de s’occuper des personnages.

Le paradoxe, c’est que si l’on n’entend pas les voix, ce n’est pas la faute de l’orchestre ! Car celui de l’Opéra joue sotto voce, avec une transparence et un raffinement qui sont leur marque de fabrique

Difficile d’adhérer au Golaud en dents de scie de Gordon Bintner, dont la voix en manque de plénitude va et vient au gré de registres mal unis. Le contraire du Pelléas de Huw Montague Rendall, sans concurrence aujourd’hui dans le rôle, et qui ne déçoit pas, même s’il réfrène à chaque instant son envie d’incarner. Si Geneviève ne sied pas à Sophie Koch, en panne de souffle et de mots, Jean Teitgen est toujours un Arkel irréprochable. Musicalement impeccable, l’Yniold de la maîtrisienne Anne-Blanche Trillaud Ruggeri… quand on arrive à l’entendre.

Le paradoxe, c’est que si l’on n’entend pas les voix, ce n’est pas la faute de l’orchestre ! Car celui de l’Opéra joue sotto voce, avec une transparence et un raffinement qui sont leur marque de fabrique. Engagé pour pallier la défection de Gustavo Dudamel, à qui cette production était destinée, Antonello Manacorda, ancien premier violon d’Abbado au Mahler Chamber Orchestra, montre un sens des nuances et une connaissance de la partition qui font de la direction musicale le moment le moins frustrant de la soirée. Mais sa manière de jouer l’impressionnisme en atténuant les chocs n’en va pas moins, elle aussi, dans le sens du stéréotype d’un Debussy brumeux et désincarné, lui qui était si charnel.


Opéra Bastille, jusqu’au 27 mars. Diffusion sur France Musique le 26 avril.