Abbé Pierre : sa famille était au courant de sa «sexualité problématique», mais pas des agressions, confie son neveu
«Cela a été violent. Mais, en fait, moi, je savais». Guy Tuscher, 71 ans, neveu de l’Abbé Pierre a accordé une interview à France Bleu Isère, pour la première fois depuis les révélations accueillies avec stupeur, cet été, concernant des agressions sexuelles et des viols commis par le fondateur d’Emmaüs depuis les années 1950. «Nous, dans la famille, on savait tous que la sexualité de notre oncle était problématique. Ma mère nous en avait parlé», se remémore-t-il. «Par contre, les agressions sexuelles telles qu'elles ont été décrites, non, on ne les connaissait pas».
Le neveu de l'Abbé Pierre, qui fut également député de 1945 à 1951, affirme également et avec certitude que «tout le monde savait qu'il y avait un problème : l'Église, l'État, qui n'a pas voulu lui remettre la Légion d'honneur, et même Emmaüs, qui n'avait pas intérêt à l'époque à ce que cela se sache». De nombreuses révélations récentes vont dans ce sens : le 16 septembre, le président de la Conférence des évêques de France (CEF) Mgr Éric de Moulins-Beaufort confirmait dans une tribune au journal Le Monde que plusieurs dirigeants de l'Église catholique française étaient au courant des agissements du célèbre prêtre, né Henri Grouès en 1912.
Guy Tuscher raconte que sa mère, Anne-Marie, de douze ans la cadette d’Henri, s'était beaucoup disputée avec son propre frère. «Elle savait très bien que le célibat, pour lui, c'était quelque chose d'insupportable. Elle lui en a énormément voulu quand il est devenu prêtre parce qu'elle savait que ça ne correspondait pas à ce qu'il était».
«L'inverse de sa personnalité»
L’homme rappelle que son oncle s’était fait moine chez les Capucins, un ordre qu’il a été contraint de quitter sept ans plus tard après être tombé malade. «C'était un garçon brillant, plein de vie». L’ordre c'était «exactement l'inverse de sa personnalité», raconte Guy Tuscher. «Ma mère lui disait de faire une psychanalyse pour régler ses problèmes, mais il n'a jamais voulu».
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Le neveu de l’Abbé Pierre, qui se souvient l’avoir beaucoup admiré, déclare par ailleurs qu’il était «troublant de savoir qu'on avait un oncle aussi célèbre». Aujourd’hui, il est «déçu par rapport à l’homme». «Pourquoi a-t-il pris le risque qu'un jour cela se sache et de détruire toute l'œuvre qu'il avait accomplie humainement et politiquement ?» Guy Tuscher déclare tout de même qu’Henri Grouès reste son oncle et qu’il refuse de le renier : «C'est un homme avec ses forces et ses faiblesses».
Du côté des victimes
En dépit de cela, le neveu du fondateur d’Emmaüs affirme soutenir les victimes. «C'est inacceptable». Il les incite à parler afin «qu'un processus de guérison se mette en place et pour mettre loin d'elles ce qu'elles ont vécu avec lui». L’homme s’interroge aussi sur ce qui a pu pousser son oncle à agir de la sorte. «Ça reste un mystère. Peut-être qu'il s'est dit : j'ai fait tellement de bien que finalement, j'irai quand même au paradis. Je ne sais pas». «En fait, tout le monde était subjugué par le mythe de l'Abbé Pierre. Et quel était l'homme derrière ? Eh bien, l'homme, on le découvre maintenant...»
Il tient tout de même à ce que l’on se souvienne de l’œuvre de son oncle. «On ne peut pas non plus dire que tout ce qu'il a fait est à jeter. Ce n'est pas possible».