«Des patients qui ne peuvent plus marcher» : face aux ravages du gaz hilarant, un dispositif inédit dans les hôpitaux lyonnais

Le Figaro Lyon

Face à la multiplication des cas graves, les hôpitaux lyonnais ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Le groupement hospitalier des Hospices civils de Lyon (HCL) a inauguré mardi un dispositif de téléconsultation à destination des consommateurs de protoxyde d’azote, ce gaz hilarant pouvant provoquer de dangereuses lésions cérébrales. Unique en France, il est destiné à dépister les consommations abusives, qui se multiplient, notamment en région lyonnaise.

«Encore marginal il y a cinq ans, l’usage récréatif de protoxyde d’azote - le fameux gaz hilarant inhalé le plus souvent par le biais de ballons de baudruche - explose en France, particulièrement chez les moins de 25 ans, indiquent les HCL. Potentiellement addictif, il peut s’avérer particulièrement dangereux et provoquer des dégâts irréversibles sur le système nerveux». Derrière les fous rires euphorisants qu’il provoque chez le consommateur, le protoxyde d’azote active les récepteurs du plaisir, créant une «dépendance affective». Or la multiplication des prises comporte un risque puisqu’un effet neurotoxique a été constaté, pouvant entraîner une paralysie des membres.

Cas graves et décès

Plus d’une trentaine de patients ont ainsi dû être hospitalisés depuis le début de l’année à l’hôpital neurologique Pierre Wertheimer de Bron. Parmi eux, un jeune homme de 22 ans contraint de marcher avec des béquilles; un autre, de 16 ans, atteint de troubles neurologiques sévères ou encore une adolescente tellement accro qu’elle consommait du protoxyde pendant son séjour en soins de suite et de réadaptation. «Outre les cas cliniques de jeunes patients qui ne peuvent plus marcher, car le système nerveux est endommagé, des cas de décès liés au protoxyde d’azote ont été rapportés, s’alarme le Dr Christophe Riou, addictologue à Pierre Wertheimer. Et, même sans aller jusque-là, dans quel état sera un consommateur actuel dans vingt ans ? Il y a de quoi être inquiet».

L’usage récréatif du gaz N2O est connu depuis le XIXe siècle, mais restait marginal jusqu’à la fin des années 2010. «Depuis 2019, le nombre de dossiers traités a été multiplié par 20», précise le Dr Alexandra Boucher, pharmacienne responsable du centre d’addictovigilance des HCL. Le centre antipoison-HCL de Lyon a reçu 80 appels en 2022 pour un motif sanitaire lié au protoxyde d’azote, contre un seul en 2017. Il s’agit seulement des cas cliniques, «la partie émergée de l’iceberg», s’inquiète le Dr Boucher. L’inhalation du protoxyde d’azote dans des ballons la plupart du temps peut aussi provoquer des lésions cutanées et muqueuses, voire des syncopes hypoxiques. 

«Le gaz hilarant ne fait plus rire»

D’après une étude de Santé Publique France, en 2022, la consommation a particulièrement bondi lors de la pandémie de Covid, notamment chez les jeunes. Si 4,3% des Français disent en avoir consommé dans leur vie, cette proportion était multipliée par trois (13,7%) chez les 18-24 ans. «Malgré plusieurs campagnes de prévention nationales comme régionales, sa consommation ne semble pas se tarir», s’alarment les HCL. Vendu librement en cartouche ou bonbonne pour un usage alimentaire mais aussi médical, le protoxyde a longtemps été facile à se procurer, jouissant d’une réputation de drogue inoffensive, à tort. La vente aux mineurs a été interdite en 2021 et l’achat limité à dix cartouches, mais «un véritable marché continue de se développer, avec des produits marketés à destination des jeunes usagers».

Face à l’ampleur du phénomène, des addictologues se sont spécialisés dans la prise en charge des patients victimes des effets du protoxyde d’azote. «Le gaz hilarant ne fait plus rire du tout, résume le Dr Christophe Riou qui porte le dispositif de téléconsultation des HCL. Nous sommes sur un vrai sujet de santé publique, avec des risques importants en cas d’usage addictif». Les HCL soulignent une difficulté de dépistage, puisque les premiers symptômes graves se manifestent par des fourmillements dans les bras ou les jambes, et sont donc perçus comme légers. D’autres consommateurs estiment ne pas avoir besoin d’accompagnement. 

Le but de la téléconsultation sera de cibler les consommateurs «au stade infraclinique». Il sera complété d’un dispositif de télé-expertise destinés aux professionnels de santé souvent démunis, qui pourront demander conseil aux spécialistes des HCL. Il n’existe pas de traitement de substitution pour traiter les symptômes de manque liés à l’arrêt de prise de protoxyde d’azote, pourtant seule manière d’éviter les effets toxiques. Mais un accompagnement est possible.