«Si les autorités ne comblent pas le déficit de postes d'internes, les hôpitaux feront appel aux médecins étrangers»

Michaël Peyromaure est chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin à Paris. Il a publié Hôpital, ce qu'on ne vous a jamais dit… (Albin Michel, 2020).


FIGAROVOX. – Pour la rentrée 2024, 1510 postes ouverts aux internes en médecine ont été supprimés. En signe de contestation, plusieurs milliers d'étudiants ont signé des pétitions. Dans quel contexte s'inscrit ce conflit ? Quelle est la situation des internes à l'hôpital public ?

Michaël PEYROMAURE. – La situation des internes est variable selon les régions, les hôpitaux et les spécialités. Ce sont les agences régionales de santé (ARS) qui répartissent les postes de chaque spécialité en fonction des besoins présumés des territoires, donnant parfois le sentiment de décisions technocratiques, déconnectées du terrain, voire injustes. Par exemple, alors que seize ou 17 nouveaux postes d'internes en urologie sortaient traditionnellement chaque année en Île-de-France, ce nombre a été brutalement divisé par deux. Le résultat est que, depuis quelques années, presque tous les services d'urologie manquent d'internes. Globalement, le nombre d'internes reflète le nombre de médecins en formation. Et en France, il est assez faible si on le compare à celui de nos voisins européens comme l'Allemagne et l'Italie.

La diminution du nombre de postes serait liée au fait que nombre d'externes ont décidé de redoubler pour éviter d'être la génération «crash test» du nouveau concours de l'internat. La colère des étudiants est-elle transitoire ? Cette réforme de l'internat va-t-elle améliorer la formation à l'avenir ?

Le problème devrait être transitoire si les 1500 postes supprimés cette année sont rattrapés l'année prochaine. Mais les étudiants qui ont eu le courage de passer les épreuves cette année, avec des modalités radicalement différentes, et qui n'auront pas accès à la spécialité qu'ils auraient voulue et méritée, vont être définitivement pénalisés. Ce sont eux les vrais perdants.

Cela étant dit, sur le fond cette réforme a de bons côtés. Jusqu'à récemment, les épreuves étaient purement théoriques, trop rigides, et ne reposaient que sur des QCM. Désormais, le concours comprend à la fois des épreuves théoriques (les épreuves dématérialisées nationales, ou EDN), et des épreuves pratiques de mise en situation clinique (les examens cliniques objectifs structurés, ou ECOS). Cela va dans le bon sens, car le métier de médecin revêt une très forte composante pratique. En revanche, un troisième volet a été ajouté dans la réforme, qui me paraît plus discutable : la valorisation du parcours de l'étudiant, qui juge ses activités non médicales, comme ses engagements associatifs ! Il faudra que l’on m'explique l'intérêt de ce critère, qui compte quand même pour 10% de l'évaluation finale. Mais au-delà du contenu de la réforme, je crois que c'est surtout la précipitation avec laquelle elle a été appliquée, en cours d'année, qui a fait peur aux étudiants. C'est pourquoi un si grand nombre d'entre eux a renoncé à passer les épreuves, engendrant malgré eux la situation actuelle.

Si nos autorités de tutelle ne comblent pas le déficit de postes d'internes attendu pour la rentrée, de nombreux hôpitaux feront appel aux jeunes médecins étrangers.

Michaël Peyromaure

Face à l'état de l'hôpital en France, des étudiants envisageraient même de faire leur internat à l'étranger. Les hôpitaux étrangers forment-ils mieux les futurs médecins ?

Je ne suis pas certain que la formation soit meilleure. Ce sont plutôt les conditions d'exercice qui le sont. Depuis très longtemps, des infirmiers et des médecins, qu'ils soient en cours d'apprentissage ou déjà diplômés, partent en Belgique, en Suisse ou au Canada. À ma connaissance, nous n'avons pas de chiffres précis pour évaluer l'ampleur du phénomène, ni sa tendance. Le cas des étudiants français qui partent faire médecine en Roumanie après avoir été recalés en première année est très connu. Pour eux, il s'agit simplement de pouvoir accéder aux études médicales, trop sélectives en France, quitte à y revenir plus tard. Mais il y a aussi beaucoup d'autres cas de figure, notamment les infirmiers ou les internes qui partent en Suisse pour doubler leur salaire. Ce constat est désolant, mais il faut bien reconnaître que les rémunérations sont trop faibles chez nous.

En parallèle, certains services de l'hôpital public envisagent eux aussi d'embaucher des étudiants étrangers. Quel regard portez-vous sur cette dynamique ?

Cela fait des décennies qu'une partie importante des praticiens qui exercent à l'hôpital français viennent de l'étranger. C'est le cas dans mon service, où sur cinq postes d'internes, au moins trois sont systématiquement occupés par des Libanais, des Roumains ou plus récemment des Italiens. Ce phénomène, qui touche Paris mais aussi toutes les provinces, a tendance à s'amplifier. Il est très marqué dans les disciplines en tension. Si nos autorités de tutelle ne comblent pas le déficit de postes d'internes attendu pour la rentrée, de nombreux hôpitaux feront appel aux jeunes médecins étrangers, appelés communément FFI (Faisant fonction d'interne). Le fond du problème est que nous ne formons pas assez de médecins en France pour répondre aux besoins d'une population vieillissante. Il est vrai que le numerus clausus a été desserré, mais seulement d'environ 15%, ce qui reste insuffisant au regard des enjeux actuels et futurs. La question que tout le monde se pose est pourquoi ? Je l'ignore, mais on peut penser que les capacités d'accueil de nos facultés sont trop restreintes. Peut-être n'ont-elles pas assez de places ou de moyens.

Cet été, l'hôpital Nord Franche-Comté a déclenché le plan blanc en raison d'un manque d'effectifs. L'hôpital public peut-il survivre sans une partie de ses internes ?

Je ne vois pas comment cela serait possible. Depuis toujours, l'interne est la cheville ouvrière de l'hôpital. C'est lui qui concentre l'essentiel des tâches du quotidien, qui participe à la permanence des soins, qui s'occupe des urgences, des visites au lit des patients, des prescriptions, et qui apporte son aide au bloc. Pour envisager un hôpital sans internes, il faudrait donc revoir son modèle de fond en comble et imiter celui des cliniques privées, où aucun médecin n'est formé. Car un des rôles cruciaux de l'hôpital public est, en plus des soins et de la recherche, justement de former les médecins.