Début avril, le Wall Street Journal publiait dans ses colonnes : « Comment un porte-bébé à 800 dollars est devenu le Birkin de l’équipement des mamans ? » Ledit modèle nommé Zeitgeist est signé Artipoppe, une marque néerlandaise fondée en 2012 par Anna van den Bogert, que plébiscitent les mères branchées de Copenhague à New York (Emily Ratajkowski, Gigi Hadid, Sienna Miller…) en passant par Hollywood (Hailey Bieber, Lana Del Rey, Kylie Jenner…). Ses déclinaisons en coton, les plus accessibles, sont vendues à 366 € quand d’autres en cachemire, qiviut et vigogne péruvienne varient entre 749 euros et… 3 918 euros.
Mercredi dernier, sur l’e-shop de la marque, l’écran d’accueil nous annonce : « Bienvenue dans la salle d’attente Artipoppe. Un très grand nombre de visiteurs est actuellement connecté en raison du lancement de notre nouveau modèle. Nous vous remercions de bien vouloir patienter. Votre temps d’attente est estimé à : moins d’une heure. » Un délai certes moins long que pour un Birkin (de six mois à plusieurs années), mais tout de même pas commun pour un porte-bébé… « que le nourrisson va salir en régurgitant ! » enchérit une mère sceptique de notre entourage. « Ce produit est un “game changer”», répond Eugénie Trochu, 36 ans, journaliste de mode qui vient d’avoir son deuxième enfant. Certes, il représente un budget mais aussi un bien meilleur investissement qu’une poussette encombrante qui peut aussi facilement dépasser les 1 000 euros ou des petits habits neufs qui ne seront portés qu’un mois, voire quelques jours. Mes bébés s’y lovent comme dans un cocon et ses bretelles se croisent de manière que le poids soit réparti pour ne rien sentir. Les couleurs proposées et les broderies d’esprit amérindien, souvent en édition limitée, donnent envie autant aux mères qu’aux pères. Quitte à devoir avoir un objet collé à soi pendant huit mois, autant qu’il soit luxueux. Personnellement, je le trouve bien plus cool qu’un Birkin ! »
En effet, à travers la communication soignée du label avec podcasts et photos d’inspiration sur les réseaux sociaux (Serge Gainsbourg et Jane Birkin portant sa fille Charlotte, des photos intimes de Kate Moss photographiée par Sorrenti, des mannequins-mères allaitant en pleine nature…), Artipoppe rend la maternité attrayante. « On a envie d’être cette mère californienne, son jus vert à la main, partant surfer avec son bébé sur le ventre. Je vous mets au défi de trouver une marque d’objets de puériculture qui soit aussi désirable », reprend Eugénie. Et sur Vinted, ses fans sont nombreuses et aussi enthousiastes. Sur le site de revente, le porte-bébé attire toutes les convoitises et se revend de 50 euros à 200 euros en « très bon état ».
« Artipoppe est devenue une tendance plutôt qu’une maison de beaux produits et de savoir-faire. La magie n’opérait plus sur moi. »
Sandra, maman française
Pour Anja, « vintie » polonaise interrogée en message privé, « il m’a permis de rester moi-même, de ne pas tomber dans le piège de la maternité qui nous prive parfois de notre féminité sous prétexte qu’il faut penser praticité et bien-être du bébé. Aujourd’hui, je le vends en parfait état car j’en ai pris grand soin, comme d’un sac à main. » D’ailleurs, l’argent récolté pour son modèle à motifs yin et yang en vigogne du Pérou financera les instruments de musique de ses deux enfants. Sandra, maman française, les a collectionnés pendant sept ans. Certains, rares, en cachemire, achetés quelques milliers d’euros, lui ont rapporté, en seconde main, 6 000 euros de bénéfice ! « Artipoppe représentait pour moi le summum du luxe… jusqu’à son rachat (en 2022 par le géant Bugaboo, NDLR), explique-t-elle. La marque est devenue une tendance plutôt qu’une maison de beaux produits et de savoir-faire. La magie n’opérait plus sur moi. »
Elle opère toujours sur Jessica, à Amsterdam, pour qui « c’est un must-have. D’autant que le matériel de puériculture est rarement joli. » Elisa, utilisatrice allemande, perçoit bien un certain snobisme derrière l’objet : « Tout le monde pense que j’ai beaucoup d’argent et que je suis une “it-mom”. J’avoue que si la qualité y est, le style aussi. Bien qu’on m’ait dit qu’il y a des marques plus confortables pour les bébés. » Ainsi, certains professionnels de la petite enfance tempèrent l’enthousiasme de ces mamans branchées : « Attention aux produits connus pour être stylés, avertit Marion Meyer, infirmière formée en portage physiologique accompagnant les mères dans son cabinet, à domicile et depuis son compte Instagram (@marion.biennaitre.mereveille). Artipoppe est partout sur les réseaux mais il faut privilégier le modèle qui propose un portage contre sa mère ou son père. Celui ’face au monde’, c’est-à-dire l’enfant tourné vers l’extérieur, n’est pas conseillé et ce, à tout âge. Un bon portage physiologique ne doit pas forcer l’écart naturel des hanches du bébé qui se fait quand il peut attraper ses deux pieds avec ses mains. »