Talkin’ to the Trees de Neil Young, album de la semaine du Figaro

Neil Young donne le sentiment de sortir un disque tous les trois mois. Entre ses copieux coffrets d’archives organisés chronologiquement, des enregistrements de concerts inédits, des albums jamais sortis finalement proposés au public et autres collections, on peut dire que l’homme inonde le marché. Mais Talkin’ to the Trees constitue son premier album studio de chansons inédites depuis World Record, qui remonte déjà à 2022. Une éternité pour cet artiste ultra-prolifique, qui nous a habitués au rythme d’un album par an depuis 1969. De là à penser que le septuagénaire souffrait du syndrome de la page blanche, il n’y a qu’un pas. Sa discographie des dix dernières années, depuis The Mosanto Years, en 2015, donne le sentiment que l’écriture de chansons ne l’intéresse plus beaucoup. Il se contente de jeter des textes bâclés sur des mélodies inachevées, mettant l’accent sur le contenu et la dimension politique avant tout.

Talkin’ to the Trees brise cette séquence un peu décevante et sonne davantage comme un album traditionnel de Neil Young. Il est aussi le premier enregistré avec sa nouvelle formation, The Chrome Hearts, constitué de trois membres de Promise of the Real (à la guitare, à la basse et à la batterie), ainsi que du pianiste Spooner Oldham, vétéran des studios (d’Aretha Franklin à Bob Dylan, en passant par JJ Cale), au service intermittent de Young depuis l’album Comes a Time, en 1978. Entouré de ce groupe vigoureux, l’auteur d’Harvest a soigné sa copie, avec sa plus belle brassée de chansons depuis longtemps. Entre folk et rock puissant, ainsi qu’avec des ballades, Talkin’ to the Trees ne choisit pas son camp, et tant mieux. L’album s’ouvre avec la très touchante Family Life, dans laquelle on comprend que ce patriarche st privé de ses petits-enfants. Dark Mirage, avec sa tonalité blues et une grosse guitare, enfonce le clou et évoque le fait que Young n’est plus en contact avec sa fille depuis la mort de la mère de cette dernière, en 2019. Neil Young n’a pas été aussi bouleversant et intime depuis de longues années. First Fire of Winter emprunte la mélodie de l’immortel Helpless avec de délicats arrangements. Silver Eagle est une ballade folk comme seul Young peut en écrire. Sur Let’s Roll Again, Neil Young emprunte la mélodie de This Land is Your Land sur un texte qui dénonce Elon Musk et traite les utilisateurs de véhicules Tesla de fascistes. Amusant et jouissif, dans la veine contestataire de l’auteur d’Ohio, modèle de protest-song. Big Change, au son énorme, est un autre brûlot écrit pour saluer à sa manière le retour à la Maison Blanche du sinistre Trump. Presque un nouveau Rockin in the Free World, qui dénonçait la politique du républicain Bush senior.

Mais c’est dans la deuxième partie du disque que s’incarne au mieux le sursaut créatif du musicien. La chanson titre est une pièce mélancolique sur laquelle l’orgue de Oldham se taille la part du lion, où Young rend à nouveau hommage à son maître et ami, Bob Dylan. Chantée de sa voix aiguë et fragilisée par le passage des années, elle est une des plus belles chansons de cet album. Moving Ahead sonne comme aucun autre morceau de Young mais rappelle l’atmosphère des albums de Tom Waits, avec ses percussions folles, sa grosse ligne de basse et son orgue fantomatique. On rêve d’une collaboration entre ces deux géants. Bottle of Love fait penser au meilleur des Beach Boys. L’album sort deux jours seulement après la mort de Brian Wilson, génie créatif du groupe californien et grande influence pour Young. Thankful et sa tonalité heureuse et reconnaissante referme idéalement cet album miraculeux, que l’on n’attendait plus de la part d’un artiste qui nous a donné tellement de grands albums au cours d’une carrière qui approche les 60 ans.