« Avant Orelsan, à part Guillaume le Conquérant, il n’y avait aucune icône à Caen » : le film Yoroï s’offre une première en Normandie

Sa petite silhouette frêle est la première à surgir près de la gare de Caen sur l’esplanade du centre commercial. Elle n’a pas dormi dans une tente devant le cinéma Pathé, dont l’écran géant extérieur est recouvert par une affiche du film Yoroï avec Orelsan en armure, mais c’est tout comme.

Pyana Silvana Martins, 17 ans, a enfilé le tee-shirt et la casquette jaune de son idole avec l’inscription « avnier » et a quitté son poste d’apprentissage en restauration dès la fin du service du déjeuner. « Je n’ai pas réussi à avoir de place au cinéma, je voudrais juste avoir une photo avec Orelsan, ce serait le plus beau jour de ma vie, je suis fan depuis mes dix ans. » Pyana piétine près de l’aire de jeux depuis 14 heures. Quand Manuela, sa mère, la rejoint quatre heures plus tard, les explications du responsable de la sécurité font l’effet d’une douche froide : Orelsan n’arrivera que vers 21 heures. Il va falloir patienter encore trois heures.

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Des salles prises d’assaut

Comme Pyana Silvana Martins, la cheffe d’atelier Mélanie Gingembre, 31 ans, la commerçante Catherine James, 50 ans, Maxime Gosselin, technicien à l’usine de camions de Renault de Colombey près de Caen, ou encore la contrôleuse de gestion Mélissa et son ami Quentin, ingénieur, ils étaient près de 1 000 Caennais bien déterminés à ne pas manquer Orelsan. « Nous sommes tous hyper fiers de lui. Avant lui, à part Guillaume le Conquérant, il n’y avait aucune icône à Caen. Il a mis Caen sur la carte du rap et même sur la carte de France », dit Nicolas Hamard, 24 ans dans la file d’attente.

Pyana Silvana Martins a quitté son poste d’apprentissage en restauration dès la fin du service du déjeuner pour espérer obtenir une photo de son idole, Orelsan. Le Figaro / LL

Orelsan aussi avait fait un effort. Arrivé la veille du Japon après quinze heures de vol, il est « mort », en plein décalage horaire, mais sa venue à Caen n’était pas négociable. Il est très attaché à la ville où il a grandi. Après quatre ans de travail, la première avant-première de Yoroï, coécrit avec le réalisateur David Tomaszewski et dans lequel il joue devait être à domicile. Le 15 janvier, c’est aussi à Caen, au Zénith, que sera lancée la tournée qui e mènera à Paris.

Je suis encore jetlaggé car nous venons de présenter le film à Tokyo à toute notre équipe japonaise

Orelsan

« Après avoir organisé la première avant-première de Comment c’est loin, le premier film d’Orelsan en 2015 puis retransmis son concert Civilisation Tour en 2023, nous savons très bien à quoi nous attendre », confie Alexandre Le Fèvre, qui travaille au cinéma Pathé. L’équipe de sécurité a été renforcée avec dix gros bras et une hôtesse se tient prête à distribuer les billets pour la centaine d’invités personnels d’Orelsan. « À l’ouverture de la billetterie, une première salle de 400 fauteuils a été remplie en trois minutes, nous en avons ouvert une seconde prise d’assaut aussi en deux minutes puis une troisième, deux minutes aussi. Nous aurions pu remplir les dix salles de notre multiplexe en dix minutes », se souvient Alexandre Le Fèvre. Pour ne paralyser le cinéma, la direction du multiplexe a étalé les séances, la première à 19h15, la seconde à 21 h30 et la troisième à 22h30. Pourquoi ? « Orelsan a été très généreux, explique Alexandre Le Fèvre. D’habitude les équipes de films restent cinq minutes dans la salle puis filent vers d’autres salles, vers d’autres cinémas. Ici, Orelsan veut rester une heure à la fin de chaque projection pour discuter avec le public et faire des photos. Il va repartir vers une heure du matin. »

Dans la file d’attente, Mélissa avoue « ne pas trop savoir à quoi s’attendre. Le film a été tourné au Japon, il y a plein d’arts martiaux, du surnaturel, j’espère que ce n’est pas trop niche. » À 19h45, les vigiles s’installent au fond de la grande salle n°3. Tous les téléphones portables doivent être éteints. Pas question de voir des bouts du film et les nouveaux sons d’Orelsan sur les réseaux sociaux.

Rires et arts martiaux

Dans le noir pendant la projection, on entend souvent des éclats de rire. Les répliques font mouche. Les amoureux du Japon seront enchantés de revoir la campagne nippone, le mont Fuji, Osaka... Ce « gaijin » d’Orelsan se débrouille très bien à coups de « konnichiwa », « arigato » et autres « hai ». On note qu’il sait aussi conduire sur les routes japonaises où l’on roule à gauche, comme en Grande-Bretagne.

Les fans d’Orelsan sont connus pour être très gentils mais on ne sait jamais. L’équipe de sécurité a été renforcée avec dix gros bras. Le Figaro / LL
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Les numéros d’arts martiaux sont impressionnants. Les démons font gentiment peur. Les scènes sur la tradition des légendes ancestrales qu’apprennent encore aujourd’hui les enfants japonais sont touchantes.

Les lumières se rallument et les applaudissements crépitent. L’avis est unanime : le film est franchement réussi. Il devrait plaire aux jeunes comme aux moins jeunes. En parlant avec honnêteté des travers de la célébrité, des crises d’angoisse face au stress et aux responsabilités, ce film a aussi du fond.

La vedette et toute sa bande déboulent sur scène. Même l’un des acteurs japonais a fait le voyage jusqu’à Caen. « Il ne comprend pas un mot de français et c’est la première fois qu’il voit le film, rit Orelsan en le présentant. Je suis encore jetlaggé car nous venons de présenter le film à Tokyo à toute notre équipe japonaise. Notre producteur japonais, la société Lato Sensu a fait les Godzilla, les films d’Akira Kurosawa  », souligne-t-il fièrement. Il se reprend. « On est mort. Pour nous, il est déjà trois heures du mat’. »

Micro à la main, Orelsan raconte la genèse de ce film qui a exigé quatre années de travail. Le Figaro / LL

Micro à la main, il raconte la genèse du film : « Il y a quatre ans, David m’a téléphoné pendant que je terminais l’album Civilisation. On a travaillé pendant quatre ans. Quand on ne nous voyait pas trop, c’est qu’on préparait le film. » À la grande honte de l’équipe du Pathé, le micro d’Orelsan s’éteint. Il poursuit quand même. Les scènes les plus dures à tourner ? lui demande un spectateur. « Pour Ablaye, c’était son monologue, taquine Orelsan en se tournant vers son ami et manager. Skread, tu préfères la musique ou l’acting ? Moi, le plus dur, cela a été la scène de l’accouchement. J’aime les blagues et la baston mais quand il y a une émotion très forte et qu’en plus ce n’est pas le bon mood. » Le rôle du papa dans la vraie vie ? « Je fais de mon mieux. » Le micro fonctionne tout d’un coup. Orelsan sursaute et toute la salle aussi. « Tous les sons dans le film, les intros, les compos de Skread, Phazz et d’Eddie Purple ont été faites spécialement pour le film. Les compos symphoniques ont été enregistrées à Londres avec le London Symphonic Orchestra  qui a les meilleurs musiciens. Ils ont fait Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux… »

D’une petite voix, il finit par demander si le film a plu. « C’est bien, non ? » Les « oui » et les applaudissements le rassurent. « Merci, ça fait plaisir. » Une chose est sûre : le 29 octobre, le champagne sera au frais chez Sony Pictures au moment de découvrir les premiers chiffres du box-office.