Hermès, McQueen, Carven : l’été, leur saison préférée
Cette semaine, on n'a pas fait plus chic qu'Armand Duplantis en costume au premier rang d'un défilé. D'autant que le recordman du saut à la perche a eu le bon goût de choisir… Hermès. Samedi après-midi, la caserne des Célestins, de la garde républicaine, prend des airs d'atelier d'artiste, avec ses grands cadres de toile tendue et son sol peint en rose magenta. « Un hommage au geste créateur, résume Nadège Vanhée, la directrice artistique, au sujet de sa collection de l'été 2025. Je me suis inspirée notamment du dessin Eau d'Artifice de Gianpaolo Pagni, qui reprend la géométrie des enchapes de maroquinerie. Sur cette jupe en soie, par exemple, nous avons imprimé ces mêmes formes à la fois au tampon, ce qui donne ces contours tremblés, et à la sérigraphie, au dessin plus précis, et les avons associées à des empreintes de sabots exécutant les pas de danse de chevaux selon les planches de Diderot. » On ne se lasse pas de regarder les détails de ce dessin qui imprime le geste, vibre encore de la main de l'artisan.
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Mais au-delà du savoir-faire que l'on connaît du sellier, la Française propose sur le podium une vraie silhouette, une attitude en tension entre le cuir et la peau, entre l'esthétique de la fonction et la sensualité de l'été. « C'est une relecture du nude look qui obsède tout le monde en ce moment, avec des résilles tricotées qui couvrent et en même temps, comme un trompe-l'œil, qui suggèrent la transparence », poursuit-elle. Les filles ont des corps athlétiques, elles habitent leurs vêtements comme dans la vie (et à la différence de tant de défilés cette saison, où les mannequins trop maigres flottent dans leurs habits). Elles portent des combinaisons utilitaires et des tuniques longues qu'on dézippe à l'envi, des brassières sous des chemises crop top en agneau, des ceintures à boucle clous Médor sur leurs culottes taille haute, des pantalons en résille de soie qui voile et dévoile la peau, des bottes jumping sublimes ou des sandales sabots aux talons en bois ergonomiques.
Chez Nadège Vanhée, le vêtement n'est jamais conceptuel mais honnête, utile et souvent versatile. Comme ce manteau hybride qui peut se porter en un blouson à col bomber, ou ce bomber qui s'enveloppe autour du torse en un cache-cœur. Les jeans en denim japonais lavé rose bougainvilliers flattent les fesses et injectent du cool à l'allure. Le blouson biker reprend la découpe d'un quartier de selle. Un trench en agneau pleine fleur a été embossé pour donner l'effet d'un velours milleraies. La palette de couleurs de beige, de bronze doré, de gris étoupe, de kaki mordoré, d'ébène, de brun havane et d'orange brûlé fait écho aux fabuleuses peaux des sacs, ici, le Birkin à l'envers (en toile à chevrons et cuir), le ravissant panier en cuir et crin, le nouveau sac de jour « enfoncé » sur le côté façon fer à cheval… Et surtout ce bien nommé Plume, un format rectangulaire épuré des années 1960 à l'implacable élégance.
Quelques heures plus tôt, les plus matinaux se rendaient « chez » Carven, au propre comme au figuré. Car ce 3, rond-point des Champs-Élysées n'est autre que l'adresse de la boutique de Mme Carven qui s'est installée en 1945 au rez-de-chaussée. Le groupe chinois Icicle, qui a racheté cette très jolie maison française en 2018, a, depuis, acquis l'immeuble entier. C'est donc au dernier étage que Louise Trotter, la directrice artistique britannique, a décidé de montrer sa nouvelle collection. La vue sur la tour Eiffel et le Grand Palais est magique ; l'appartement, restauré comme s'il était resté dans le jus des années 1950, est d'un charme fou avec ses détails de menuiserie dans les placards, sa salle de bains ancienne, sa cuisine parisienne… « J'ai décidé de vous inviter dans notre maison, car pour nous, il ne s'agit pas seulement de construire une marque mais vraiment un foyer, explique la créatrice. C'est ici que nous travaillons tous les jours, ici que se trouvent le studio et l'atelier. D'où l'idée de l'intimité propre à notre métier qui est d'habiller les femmes. Je parle peu de Mme Carven mais bien sûr je consulte beaucoup les archives, et je suis particulièrement intéressée par sa construction sophistiquée des vêtements en contraste avec leur simplicité visuelle. »
L'intérieur et l'extérieur, c'est ce qui se joue chez ces filles passant du salon à la cuisine, et dont on ne sait si elles sortent du lit ou sont prêtes à partir en soirée. L'une a l'air d'avoir tout juste enfilé une robe aux coutures apparentes en satin pyjama, une autre, un peignoir en maille échevelée. Celle-ci, derrière ses lunettes noires, a endossé une veste de smoking ivoire mais a chaussé des sandales pantoufles matelassées. Les drapés, les coupes en biais, les volants, les détails lingerie, les robes du soir comme taillées dans des draps en soie jouent cette même partition de l'intime. Il manque sans doute des pièces tailleur (qui existent dans les précollections, par ailleurs) et du vêtement fait pour une femme qui court entre son boulot et ses enfants. Mais il y a un esprit, ce qui manque cruellement sur les podiums de Paris. Juste permettons-nous de suggérer qu'il serait aussi temps de raconter l'histoire de Carven, lui donner la notoriété, l'ancrage géographique et historique qu'elle mérite.
Il y a six mois, le défilé McQueen avait frôlé l'accident industriel tant Sean McGirr était passé à côté du sujet pour son galop d'essai. Cette fois, c'est beaucoup mieux. À la différence d'autres, le designer ne s'est pas inutilement obstiné, et reprend le fil du passé. « Le point de départ de cette collection est la Banshee, cette créature de la mythologie celtique dont ma mère et ma grand-mère me racontaient les histoires. Et qui était déjà l'inspiration de la collection de l'hiver 1994-1995 de Lee McQueen, explique l'Irlandais. Les chemises, les broderies de ce défilé m'ont été inspirées par la Banshee qui peigne ses longs cheveux. D'où ces tissus déchiquetés et effilochés de manière poétique. »
Les premières filles passent en tailleurs cintrés, vestes à basques, boutonnière enroulée et col à jabot effrangé, perchées sur des sandales à plateforme. Une allure entravée qui n'est pas tellement dans l'air du temps (et anachronique dans une marque qui fait une grande partie de son chiffre d'affaires dans les baskets) mais qui, il est vrai, fait écho à celle de Daphne Guinness, l'héritière britannique proche de Lee McQueen, assise au premier rang. En revanche, ses robes et bustiers de party girl en mousseline mauve comme en lambeaux rebrodée, ou en dentelle d'un orange dissonant parleront sans doute à une nouvelle génération de clientes. À McGirr maintenant de construire progressivement - mais il faut lui laisser le temps ! - un McQueen d'aujourd'hui, qui sache conjuguer un point de vue et des produits.