Volumes d'importations, choix des cultures, normes : l'agriculture française doit-elle faire évoluer ses pratiques ?

Le salon de l'Agriculture ouvre samedi 22 février à Paris. On dit souvent que la France a une des meilleures agricultures dans le monde, mais la réalité est beaucoup plus contrastée. Beaucoup de produits agricoles sont ainsi importés. 

Parmi les filières qui importent, il y a les fruits et les légumes, mais aussi et surtout la volaille. Un poulet sur deux vient de l'étranger, car la consommation explose en France : 29 kilos par an et par habitant. Chaque année, la consommation augmente de près de 4%. Jean-Michel Schaeffer est président de l'Anvol, l'association nationale de volaille de chair : "Nous, on parle même de 'pouletisation', c’est-à-dire que la part du poulet dans l'ensemble des volailles consommées augmente tous les ans."

"On note structurellement une baisse des ventes du poulet entier"

Il est lui-même producteur dans le Bas-Rhin de poulet label rouge, un mode de production typiquement français, mais qui galère malgré la hausse de consommation. C'est tout le paradoxe : "Le poulet du dimanche, qui est traditionnellement un poulet plein air, c'est la filière qui a subi des baisses de consommation. Il y a tout ce qui est pouvoir d'achat parce que c'est un modèle d'élevage qui coûte plus cher. On note structurellement une baisse de ventes du poulet entier. Ça baisse tous les ans." 

Ce changement se fait au profit des morceaux de poulet, dont les Français raffolent : "C'est du filet principalement, un peu les cuisses aussi. Parce qu'on voit que les gens font de moins en moins la cuisine. Ils mangent aussi de plus en plus de produits élaborés : des cordons-bleus, des nuggets... Ça provient principalement du Brésil, de Thaïlande, également d'Ukraine, qu'on avait dénoncé l'année dernière."

"Évidemment, c'est moins cher. Mais c'est parce que ce n’est pas élevé comme chez nous avec nos standards de production en France et en Europe."

Jean-Michel Schaeffer, président de l'Anvol

à franceinfo

Pour limiter les importations, la solution est simple : il faut augmenter la production. Jean-Michel Schaeffer a fait ses calculs. Il faudrait construire 400 poulaillers et deux abattoirs pour atteindre 70% de poulet français sur le territoire. Pour cela, il demande aux pouvoirs publics de réduire les normes, au niveau français comme au niveau européen.

"Si on exporte des céréales, on importe du soja, du café, du chocolat..."

Il y a quand même des fleurons français à l'international : le vin et surtout les céréales. Ce dernier secteur est considéré comme le plus riche de l'agriculture française, mais les céréaliers enchaînent les mauvaises nouvelles ces derniers temps : des cours mondiaux en repli, des récoltes en baisse, 25% de moins l'an dernier à cause de la météo pluvieuse...

Certains agriculteurs abandonnent, notamment dans le Sud-Ouest, où le climat est de moins en moins favorable. La filière déplore la perte d'un million d'hectares en dix ans. Mais la France reste parmi les cinq pays exportateurs avec le Canada, les Etats-Unis, l'Ukraine et la Russie. Elle doit y rester pour contrebalancer certaines dépendances.

Eric Thirouin, président de l'Association générale des producteurs de blé, lui-même céréalier dans la Beauce, en Eure-et-Loire, confirme : "En Europe, on est déficitaires en calories. Parce que si on exporte des céréales, on importe du soja, du café, du chocolat. La balance des calories est déficitaire en Europe. Donc c'est important qu'on puisse produire ces denrées-là, pas pour échanger mais pour avoir cet équilibre." Le soja sert principalement à l'alimentation des animaux d'élevage, aux poulets mais aussi aux bœufs, vaches laitières et porcs.

"Une récupération néoproductiviste de l'idée de souveraineté alimentaire"

Cette semaine, le Sénat a voté le projet de loi d'orientation agricole qui a mis au centre du débat l'objectif de souveraineté alimentaire. Avec la difficulté de définir cette notion : est-ce avoir une agriculture qui permet l'autosuffisance ? Ou est-ce soutenir le "produire plus" pour exporter plus, comme c'est le cas aujourd'hui ?

Olivier de Schutter, l'un des grands spécialistes du sujet, ancien rapporteur spécial de l'ONU à l'alimentation, regrette que ce soit la seconde définition qui l'ait emporté : "On a aujourd'hui une récupération néoproductiviste de l'idée de souveraineté alimentaire qui, à l'origine, consistait à dire que les politiques agricoles et alimentaires ne doivent pas être orientées exclusivement vers l'objectif d'être compétitif à l'exportation et de nourrir le monde."

"Il faut concentrer nos efforts sur la capacité, pour l'agriculture, de nourrir les communautés locales, la population."

Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial de l'ONU à l'alimentation

à franceinfo

Il copréside aujourd'hui un panel qui regroupe des experts des systèmes alimentaires durables et fait du lobby à Bruxelles pour orienter différemment la politique agricole commune en Union européenne : "Soutenir les agriculteurs et les agricultrices qui, en circuit court, fournissent une alimentation diversifiée et de qualité au consommateur. Il n'est pas normal que, pour manger mieux en préservant l'environnement, on paye plus cher que ce que l'on paye pour une alimentation de faible qualité qui détruit l'environnement, comme c'est le cas aujourd'hui."

Une récente étude du Crédoc, le centre d'étude des conditions de vie, montre que 16% des Français déclarent ne pas manger à leur faim.