Le combat d’Albert Corrieri continue. Débouté par le tribunal administratif de Marseille le 18 mars dernier alors qu’il cherchait à faire reconnaître sa «déportation» dans un camp de travail allemand de la Seconde Guerre mondiale, le retraité de 102 ans vient d’adresser une lettre par la voix de son avocat à Emmanuel Macron pour demander officiellement réparation à l’État.
«Monsieur Corrieri est confronté au silence et au rejet par l’autorité publique de sa demande d’indemnisation pour le travail forcé qu’il a dû accomplir», écrit le conseil du centenaire, Me Michel Pautot. «La République est redevable envers ces travailleurs que l’État français a contraints et forcé de travailler avec l’ennemi. C’est un devoir, une obligation de notre République de s’en souvenir mais aussi d’indemniser le travail forcé accompli», poursuit l’avocat en ajoutant que son client était dans l’attente d’un «geste fort».
«On se bat pour la mémoire. Nous avons rapporté la preuve de l’authenticité de la déportation d’Albert Corrieri», martèle Me Pautot auprès du Figaro, fustigeant la «distinction» opérée par la justice qui n’a pas reconnu la «qualité de déporté» au centenaire. «Il y a d’un côté les crimes contre l’humanité qui sont imprescriptibles et celui subi par Albert Corrieri qui ne l’est pas. Nous avons écrit au président de la République pour dire qu’il y avait un problème, d’autant qu’il ne reste que quatre ou cinq personnes dans cette situation», affirme le conseil en évoquant la «déception» de son client.
Envoyé de force en Allemagne
Né à Marseille en 1922, Albert Corrieri n’avait que 21 ans en 1943 lorsqu’il a été arrêté par des sentinelles françaises et conduit à bord d’un train au départ de la gare Saint-Charles pour prendre la direction de l’Allemagne. Fiché par le régime de Vichy, ce plombier de formation avait ensuite été placé à Ludwigshafen dans le cadre du Service de travail obligatoire (STO) comme plus de 600.000 Français jusqu’en 1945.
Un calvaire enduré vingt-cinq mois durant par l’homme, qui rapporte y avoir subi de nombreux «moments d’horreur» avant d’être gravement blessé au bras dans un bombardement. «On travaillait même à 40 degrés de fièvre, sauf qu’à cette température, vous n’êtes pas loin du cimetière», se remémorait-il en juin 2024. «Quand vous avez des bombardiers sur la tête, vous êtes comme un rat : vous ne savez plus où aller, vous êtes perdus et démoralisés. Un jour, j’ai perdu 95 de mes copains qui se trouvaient sur le camp 6 lorsqu’un avion a lâché ses bombes», avait-il ajouté dans la douleur.
Accompagné d’un historien et de son avocat, le centenaire avait attaqué le ministère des Armées et l’ONaCVG (Office national des combattants et des victimes de guerre) en justice, réclamant réparation à hauteur de 43.200 euros au titre des heures travaillées pour le compte de l’effort de guerre allemand. Ces souvenirs difficiles n’ont toutefois pas convaincu le tribunal administratif, qui a rappelé dans sa décision que le centenaire s’était déjà vu reconnaître «la qualité de personne contrainte au travail en pays ennemi» via une décision du préfet des Bouches-du-Rhône de 1957.
La juridiction marseillaise avait en outre estimé qu’Albert Corrieri ne pouvait pas «se prévaloir des dispositions de la loi du 26 décembre 1964 » qui tend à constater l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, rejetant formellement toute forme d’indemnisation. En février dernier, la justice niçoise avait également débouté un ancien travailleur du STO qui avait travaillé quatorze mois en Allemagne et qui avait demandé 30.000 euros à l’État. Là encore, le tribunal administratif avait rejeté la requête de l’homme de 101 ans en évoquant un délai de prescription dépassé.