Une opposition qui ne passe pas inaperçue. Ce mardi après-midi, à l’Assemblée nationale, les Insoumis ont décidé d’aller plus loin qu’ils ne l’avaient fait par le passé en votant carrément contre la proposition de résolution appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien arbitrairement arrêté mi-novembre dans son pays natal et retenu sur place depuis 171 jours. Alors qu’ils s’étaient abstenus en commission (affaires européennes et affaires étrangères) il y a quelques semaines, les mélenchonistes se sont cette fois opposé au texte, qu’ils ont largement critiqué. Il n’empêche, le texte a été approuvé à une large majorité, par 307 voix contre 28, grâce aux macronistes, à la droite LR, le RN, mais aussi aux socialistes, aux écologistes. Les communistes, eux, se sont abstenus. «La honte», ont hurlé les députés lepénistes, en sifflant copieusement les Insoumis qui quittaient l’Hémicycle après le scrutin.
«Il est très important que l’Assemblée nationale se lève et envoie un message clair et sans ambiguïté, un appel aux autorités algériennes à la libération immédiate et sans conditions de Boualem Sansal», se félicite, auprès du Figaro, la députée Constance Le Grip (Renaissance), à l’origine de cette initiative. L’élue juge «inconcevable» que cette «figure emblématique de la francophonie soit privée de ses droits fondamentaux». «Nous ne l’oublions pas. Notre vote est un geste d’humanité et un rappel des grands principes auxquels les députés se doivent de rappeler leur attachement», plaide-t-elle encore. Devant ses collègues, la parlementaire francilienne avait déjà fait passer le même message, lundi soir, jugeant que «Boualem Sansal ne saurait être le bouc émissaire» des relations diplomatiques dégradées entre Paris et Alger.
La gauche reproche au texte d’«attiser les tensions politiques» entre la France et l’Algérie
En dépit de cela, une partie des bancs de gauche n’ont pas souhaité s’associer à cette initiative. «Boualem Sansal doit être libéré. Nous ne pouvons accepter qu’un écrivain soit détenu pour ses idées ou pour ses propos. (...) Cependant, cette résolution ne se contente pas de demander sa libération. Sous couvert de défense des libertés fondamentales, elle attise les tensions politiques entre France et Algérie», a dénoncé l’Insoumise Nathalie Oziol, regrettant que le texte présenté «nourrisse la surenchère médiatique et politique engagée par Bruno Retailleau et l’extrême droite». «Dans ce texte, il n’est plus question de Boualem Sansal mais du nombre de visas que la France devrait accorder aux Algériens. Il est hors de question pour nous de valider ce type de proposition, nous laissons cela aux nostalgiques de la colonisation et aux héritiers de l’OAS», a-t-elle poursuivi.
«La place d’un écrivain n’est jamais en prison», a aussi critiqué sa collègue des Verts Dominique Voynet, avant de regretter «le ton» de la résolution qui porte selon elle «le risque d’une escalade symbolique». Et l’écologiste de regretter ce qu’elle considère être une «instrumentalisation politique de la droite et de l’extrême droite». Ce qui n’a pas empêché les députés de son groupe de voter favorablement ce texte. Les communistes, qui se sont abstenus, ont eux aussi accusé certains parlementaires de ne «pas manquer une occasion de faire de la récupération».
Les socialistes, qui s’étaient abstenus il y a deux mois, ont finalement également décidé de revoir leur position en séance publique, et de voter «pour» ce mardi après-midi. «Nous ne souhaitons pas qu’une abstention soit mal interprétée par une partie de l’opinion publique, qui ne rentre pas dans le détail des explications de vote», anticipait avant le scrutin le député PS Pierre Pribetich, auprès du Figaro. Tout en critiquant dans le même temps ceux qu’il accuse de politiser cette proposition de résolution : «Évidemment que nous sommes “pour la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal”. Par contre, nous regrettons que certains députés se soient servis de ce texte pour faire une liste de course exorbitante en montrant leur volonté de bannir les relations avec l’Algérie». Et d’ajouter : «Il y a bien sûr un débat à avoir sur la relation de la France avec l’Algérie, mais pourquoi mélanger ça à notre volonté de voir Boualem Sansal libéré ?» Il faut dire que le texte adopté à l’Assemblée comporte effectivement de nombreux alinéas aux accents plus diplomatiques, dont notamment un pour appeler le gouvernement français ainsi que la commission européenne à «veiller à ce que les futurs versements de fonds européens à l’Algérie s’accompagnent de progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés individuelles».
«Pas un geste de provocation»
La rapporteur du texte, Constance Le Grip, a pourtant rassuré ses collègues à plusieurs reprises sur le contenu du texte. «Ni un acte de défiance ni un geste de provocation» vis-à-vis de l’Algérie, a-t-elle promis. Pendant les débats, plusieurs députés, notamment des bancs du RN et de la droite LR, ont tenté d’amender le texte. Et les échanges se sont alors tendus, voire parfois clairement envenimés. «Qu’exige-t-on à part sa libération ? Rien. Il faut maintenant de la vigueur pour le libérer et dire les choses», a regretté le député lepéniste Laurent Jacobelli. «Quand nos collègues d’extrême gauche parlent d’instrumentalisation, ce sont eux qui essayent de faire naître des polémiques bien inutiles», a tempêté son collègue Sébastien Chenu (RN). Avant d’attaquer, en regardant les Insoumis : «Vous aimez le régime algérien d’inspiration marxiste donc il ne faut pas les bousculer. Vous aurez une sacrée responsabilité si Boualem Sansal venait à mourir dans les geôles algériennes». Éric Ciotti, de son côté, a jugé l’opposition des Insoumis à ce texte «honteuse et scandaleuse».
Le ministre de l’Europe, Benjamin Haddad s’est également ému des prises de position de la gauche, et notamment des Insoumis, en regrettant des «amendements de haine de soi» et de «repentance». «Il n’y a plus aucune limite dans l’indécence Monsieur Lachaud», a-t-il notamment tancé à l’encontre d’un député LFI. Des tensions qui se sont exprimées jusqu’au vote final du texte. Mais pas au point d’empêcher l’Assemblée d’envoyer un message clair : oui, la France appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.