Notre critique des Musiciens : de la nécessité d’accorder ses violons

Plongé dans les recoins mouvants d’un espace qui pourrait figurer une étrange place de village aux couleurs châtaigne, le spectateur se demande où il est et se sent furtivement dans un autre monde. Mais il comprend qu’une microcaméra explore les entrailles d’un violoncelle, sous les doigts précis d’un luthier qui finit par trouver ce qu’il cherchait.

Une fois l’examen de l’instrument achevé, le professionnel rend son verdict. Il est sans appel. C’est bien un Stradivarius. Le San Domenico. À l’autre bout de la table, le visage d’Astrid Thompson (Valérie Donzelli) s’éclaire. Cette fille d’entrepreneur mélomane spécialisée dans les ouvrages routiers va enfin pouvoir réaliser le rêve de son défunt papa. Réunir dans un somptueux manoir quatre Stradivarius pour un concert unique attendu et retransmis dans le monde entier.

Ego et préjugés

Le père avait suggéré une liste d’instrumentistes parmi les plus doués. Notre dévouée héritière parvient à les convaincre de participer au projet, mais les quatre virtuoses recrutés s’avèrent incapables de jouer ensemble, aveuglés par leurs ego et leurs préjugés. Ils n’ont pourtant que sept jours pour « accorder leurs violons ».

Le temps presse. Le fougueux Georges (Mathieu Spinosi), sorte de rock star du violon, a beau être talentueux, il est trop imbu de sa personne. La plus jeune du groupe, Apolline (Emma Ravier), musicienne influenceuse forte de 700.000 followers, se retrouve vite méprisée et mise à l’écart par ses confrères. Quant au couple désuni, le presque aveugle Peter (Daniel Garlitsky) et Lise (Marie Vialle), ils se toisent en chiens de faïence, n’ayant fait ni l’un ni l’autre le deuil d’une relation amoureuse.

Tous les acteurs, musiciens dans la vraie vie, s’imposent parfaitement dans cette passionnante immersion au cœur du monde de la musique classique contemporaine

Olivier Delcroix

Catastrophée par la tournure que prennent les événements, Astrid Thompson va chercher le seul qui peut encore sauver la situation, Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot), compositeur de la partition qui va être jouée… En créateur misanthrope retranché dans sa tour d’ivoire, Pierrot réussit le tour de force de se montrer à la fois ronchon et solaire.

Quelques bulles de jazz

Tous les acteurs, musiciens dans la vraie vie, s’imposent parfaitement dans cette passionnante immersion au cœur du monde de la musique classique contemporaine. Pour son troisième film, le discret Grégory Magne (L’Air de rien, en 2012, et Les Parfums, en 2020) orchestre une comédie dramatique tendre et sensible. Le tempo est soutenu. Aussi légère que dévouée et parfois sérieuse, Valérie Donzelli sert de fil rouge affectif à ce film musical qui rappelle autant les ambiances du Salon de musique, de Satyajit Ray, que certaines séquences de Tous les matins du monde, de Corneau. Mais Les Musiciens n’a certes pas le cœur en hiver. Sous le sérieux de l’entreprise perce toujours quelques bulles de jazz et d’humour bien troussées.

Entre celui qui s’amuse à prendre des bains de minuit dans un Jacuzzi lumineux rafistolé en plein parc, celle qui poste des selfies sur Instagram avec les statues du manoir, ceux qui crapahutent dans les bois pour se dégourdir les jambes, l’entente musicale n’était pas gagnée d’avance. Pourtant, en bon cinéaste du lien et de la sensorialité, Magne déchiffre avec de jolies notes de joie et d’esprit cette parabole sur la recherche de l’harmonie. Car c’est bien de la nécessité de jouer une partition à l’unisson qu’il s’agit. Dans cette époque où personne ne semble s’entendre, le film crie haut et fort que les accords parfaits sont avant tout une affaire d’écoute.

Quant à la musique, créée par Grégoire Hetzel (compositeur attitré d’Arnaud Desplechin et de Mathieu Amalric), elle est un personnage à part entière. Le finale en est d’ailleurs exalté par de bouleversantes envolées qui disent sans trop l’appuyer toute la force, la beauté et la nécessité du lien.

Notre avis : 3/4