C’est en direct sur la chaîne Youtube que le jury du prix Renaudot des Lycéens a consacré La Nuit au cœur, de Nathacha Appanah, livre qui avait reçu la semaine dernière le prix Femina. La romancière avait déjà eu une belle récompense littéraire décernée par des jeunes, avec le Femina des lycéens et le prix du Roman métis des lycéens en 2016, pour Tropique de la violence (Gallimard).
Nathacha Appanah l’a emporté face à quatre autres très bons romans : Le ciel est immense, de Feurat Alani (JC Lattès), Les ombres du monde, de Michel Bussi (Les Presses de la Cité), La mauvaise joueuse, de Victor Jestin (Flammarion) et Quatre jours sans ma mère, de Ramsès Kefi (Philippe Rey).
Passer la publicitéLe Figaro littéraire, comme de nombreux autres médias, a écrit tout le bien qu’il pensait de ce livre remarquable. La Nuit au cœur a figuré sur toutes les listes des grands prix. La romancière écrit sur le sort de trois femmes : Chahinez et Emma ont été tuées par leurs maris. La troisième a échappé à ce destin funeste. C’est elle. Alors, elle décide de prendre la plume. Ce sont 284 pages terribles, sidérantes, d’une puissance littéraire inouïe. Trois histoires de femmes ayant subi une violence extrême de la part d’hommes qui disaient les aimer.
Nathacha Appanah publie depuis 2003, mais elle n’était jamais allée aussi loin, aussi fort, aussi profond. Dans ce texte, elle rassemble et entremêle trois destins. Celui de Chahinez, 31 ans, mère de trois enfants, brûlée vive près de chez elle, à Mérignac. L’assassin n’est autre que son mari, incapable de supporter que sa femme envisage de le quitter. Alors qu’elle courait pour lui échapper, il lui a tiré une balle dans chaque jambe, puis l’a aspergée d’essence. C’était en mai 2021. Emma, 32 ans, trois enfants, excellente cuisinière, entamait une carrière de traiteur à l’île Maurice. En décembre 2000, son mari, au volant d’une voiture puissante, décide de la percuter, puis de lui rouler dessus avant de l’abandonner. Emma était la cousine de Nathacha.
Récit tressé de trois voix
En 1998, elle avait 25 ans. Pour fuir les coups et les mots destructeurs de son compagnon, journaliste et poète, elle court d’une pièce à l’autre de la maison. « De ces nuits et de ces vies, de ces femmes qui courent, de ces cœurs qui luttent, de ces instants qui sont si accablants qu’ils ne rentrent pas dans la mesure du temps, il a fallu faire quelque chose. Les écrire, les regarder en face, les peser chacun leur tour et aussi ensemble (...). » De ce récit commun, tressé de trois voix, trois visages, elle dit : « Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. »
Avec ce récit, Nathacha Appanah a rendu justice et beauté à Chahinez et Emma, parce qu’elle sait ce qu’elles ont ressenti, et qu’elle refuse de les réduire à leur mort. C’est un texte bouleversant. En lui décernant leur prix, le jury du prix Renaudot des lycéens distingue une grande romancière. Les jeunes ont décidément du goût.
Institué en 1992 à Loudun, ville où naquit Théophraste Renaudot, le prix Renaudot des lycéens est né de l’initiative de l’association « Les Amis de Théophraste Renaudot ». Sa mise en place repose sur une organisation conjointe entre l’association, la Communauté de communes du Pays Loudunais, la ville de Loudun et le rectorat de l’académie de Poitiers, et, bien sûr, des lycées. C’est un jury de lycéens qui vote. Cette récompense vise également promouvoir la lecture auprès des jeunes et de les familiariser avec la littérature contemporaine. Ils sont plus de 400 lycéens issus de 16 lycées des académies de Poitiers, Limoges, Bordeaux, Orléans-Tours et Nantes, ainsi que deux établissements étrangers (Roumanie et Madagascar), à avoir lu, débattu et échangé pour désigner leur favori. L’an passé, c’est Olivier Norek qui ce prix avec Les Guerriers de l’hiver (Michel Lafon).