Sylvain Catherine: «L’abandon de la réforme des retraites traduirait l’incapacité du pays à regarder la vérité en face»

Sylvain Catherine est professeur de finance à Wharton aux États-Unis. Il analyse les perspectives des finances publiques françaises.

LE FIGARO. - La perception du risque français sur les marchés a évolué depuis la dissolution. Cette décision politique a-t-elle vraiment changé la donne ?

SYLVAIN CATHERINE. - L’évolution des taux d’intérêt durant la campagne électorale démontre combien les marchés financiers sont sensibles aux perspectives de victoire des programmes économiques en lice. Ce phénomène s’est vérifié à plusieurs reprises. D’abord, les taux auxquels la France emprunte ont augmenté lorsque les nouvelles favorisaient le Nouveau Front populaire. De leur côté, les actions des entreprises fortement exposées aux propositions du Rassemblement national, comme les chaînes de télévision ou les opérateurs d’autoroutes, ont vu leur capitalisation baisser après l’annonce de la dissolution, avant de rebondir à l’issue des élections. Ces exemples prouvent que les marchés réagissent non seulement à l’incertitude politique, mais également à la nature précise des politiques pouvant être mises en place.

Toutefois, la réaction des marchés, comme d’ailleurs la dissolution, pourrait découler d’une cause commune : la dégradation des finances publiques. L’écart entre le taux d’emprunt de la France et celui de pays comme l’Espagne s’est encore creusé après les élections, à mesure que l’ampleur du déficit public était révélée.

L’examen du budget en commission des finances a illustré la déconnexion de nombreux députés avec le monde économique. S’agit-il d’une particularité française ?

La politique américaine n’est pas non plus à l’abri des propositions économiques loufoques ou démagogiques. Le déficit public des États-Unis devrait d’ailleurs atteindre environ 6 % du PIB cette année. Dernièrement, Donald Trump a proposé d’exempter les retraités américains d’impôts sur leurs pensions, une mesure qui pourrait encore creuser le déficit du système de retraite par répartition. Kamala Harris a proposé de protéger les investissements cryptomonétaires pour aider les noirs Américains.

Pour le meilleur et pour le pire, les responsables politiques américains entretiennent des liens étroits avec le monde des affaires. Nombreux sont les entrepreneurs ou les financiers à se lancer en politique, à l’instar de Mitt Romney ou JD Vance. L’entrepreneur est une figure appréciée des électeurs américains. Démocrates et Républicains dépendent par ailleurs des milieux d’affaires pour financer leurs campagnes.

À mes yeux, il existe une différence majeure entre les deux systèmes politiques : il est plus courant que représentants et sénateurs Américains s’opposent à la ligne de leur parti, rendant plus difficile l’adoption de lois à l’emporte-pièce. L’exemple le plus célèbre est l’opposition de John McCain à l’abrogation de l’Obamacare. Bien qu’opposé à cette législation, John McCain jugeait irresponsable de l’abroger sans solution de remplacement.

Compte tenu du contexte politique, un accident de crédit sur les titres français vous semble-t-il possible ?

Seul un risque de défaut peut justifier une différence de taux d’intérêt entre deux dettes émises dans la même monnaie. Si la France emprunte à un taux plus élevé que l’Allemagne, c’est bien que les marchés jugent son défaut plus probable. Cela ne signifie pas pour autant que cette probabilité soit élevée ou qu’un tel scénario soit envisageable à court terme. Toutefois, cette simple éventualité a des répercussions budgétaires immédiates, car elle alourdit le coût de notre dette publique.

Les pensions représentent plus d'un quart des dépenses publiques, et leur niveau élevé

Sylvain Catherine

Le budget initial de Michel Barnier visait un ajustement de 60 milliards d’euros, avec un effort réparti entre deux tiers d’économies et un tiers de hausse des prélèvements obligatoires. Ces ordres de grandeur vous semblent-ils appropriés ?

La stabilisation de la dette publique, en proportion du produit intérieur brut, nécessite de dégager un excédent primaire hors périodes de crise, afin de pouvoir financer un déficit lors des récessions. Selon les estimations du Conseil d’analyse économique, cela requiert, à terme, une réduction de 112 milliards d’euros du déficit budgétaire.

Cet objectif ne doit pas être atteint du jour au lendemain. L’essentiel est de définir une trajectoire budgétaire crédible. Dans cette optique, des réformes structurelles générant des économies durables sur les vingt prochaines années sont bien plus cruciales qu’un ajustement fort mais temporaire. Par exemple, l’abandon de la réforme des retraites enverrait un signal beaucoup plus grave que son impact budgétaire immédiat, car il traduirait une incapacité profonde du pays à se réformer et à regarder la vérité en face.

Pour redresser les finances publiques françaises, quelle réforme faut-il faire en priorité ?

Au-delà d’un certain seuil, il faut arrêter d’indexer les retraites sur l’inflation. C’est le levier budgétaire le plus puissant dont nous disposons, tout en étant le plus indolore, du moins économiquement. Les pensions représentent plus d’un quart des dépenses publiques, et leur niveau élevé - tant sur le plan historique qu’en comparaison internationale - ne fait qu’accroître le taux d’épargne des retraités. Cet effort est moins susceptible d’avoir un effet récessif.

Plus globalement, il est temps de repenser la fiscalité et nos priorités budgétaires. Il faut déplacer la charge fiscale du travail et de l’investissement vers les inactifs, le foncier, et les émissions de CO2. Ensuite, recentrer nos efforts budgétaires sur les moteurs de la croissance : l’éducation, la recherche, l’énergie et la natalité.