Projet EACOP : violences sexuelles, déplacements forcés… De nouvelles violations des droits humains en Ouganda

« Nous ne sommes pas là pour juger la mise en place du projet, mais pour alerter sur les violations des droits humains. » Le projet en question est celui de l’extraction et de l’exploitation du pétrole dans la région du lac Albert, en Ouganda, avec ses deux sites principaux, Tilenga et Kingfisher, et son oléoduc EACOP de 1 443 km, reliant la ville de Kabale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie. Tandis que les autorités de Kampala se rêvent en nation pétrolière, séduites par les promesses économiques de l’or noir, le respect des droits civiques n’y a plus sa place.

Les droits fondamentaux continuent d’être piétinés par le régime ougandais, avec la complicité passive de Total Énergies et de la compagnie pétrolière chinoise CNOOC. C’est ce que documente la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH), dans son nouveau rapport, réalisé avec Avocats Sans Frontières (ASF) et Civic Response on Environment and Development (CRED), qui fait état de « nouvelles préoccupantes pour les communautés locales ».

Des cas de violences sexuelles sur le site de Kingfisher

Multiplication des intimidations et répressions des voix critiques, irrégularités de procédure, déplacements forcés, aggravation des inondations et atteintes à la biodiversité : tels sont les constats de la mission de la FIDH menée entre février et septembre 2024. En plus de ces abus, les organisations internationales rapportent des cas de violences sexuelles et de harcèlements sur le site d’exploitation pétrolière de Kingfisher dans l’ouest du pays. Située sur les rives du lac Albert, sa localisation particulièrement « reculée » et « isolée », contribue à l’omerta qui entoure ces accusations.

Depuis le début du chantier en 2017, des employés de la compagnie pétrolière chinoise CNOCC et leurs sous-traitants auraient sollicité des rapports sexuels en échange de promesses d’embauche ou de traitements préférentiels. Interrogée sur ces accusations, la CNOOC a nié toute connaissance de violences sexuelles, « assurant que le processus de recrutement des travailleurs était transparent ». Des témoignages d’Ougandais recueillis par les équipes de la FIDH ont révélé que des membres des forces de sécurité présents sur le site auraient abusé de femmes. Ces violences sexuelles seraient subies dans certains cas par des Ougandaises cherchant à éviter des amendes pour la vente de poissons pêchés dans le lac Albert, une activité sévèrement restreinte et contrôlée, privant les communautés d’un de leurs moyens de subsistance essentiels. Une autre forme de répression ciblant la population locale.

Alertées de la détresse dans laquelle certaines familles se retrouvent, les organisations constatent que le climat de peur complique le travail de la société civile pour aborder ces questions. Sasha Feierabend, chercheur pour la FIDH, rapporte les paroles d’une habitante de Kingfisher « Nous n’avons nulle part où aller, personne à qui parler. »

Depuis quatre ans, les violations des droits humains redoutées par les organisations se confirment. « L’État ougandais a manqué à plusieurs de ses obligations en matière de droits humains et environnementaux et n’a pas protégé ses citoyennes contre les violations des droits humains commises par les entreprises. »

« Il s’agit des communautés les plus vulnérables, les plus pauvres parmi les pauvres »

Les communautés locales tirent peu de bénéfices du projet. Malgré les promesses d’emploi, les rares Ougandais recrutés dénoncent des salaires dérisoires, des retards de paiements et des horaires excessifs. À cela s’ajoutent des expropriations d’une quarantaine de foyers réalisées en urgence, sans compter les 12 000 familles déplacées vivant le long du tracé de l’oléoduc, dont certaines attendent encore des indemnisations. Ces expulsions forcées n’ont fait qu’exacerber la précarité économique dans laquelle vivaient déjà certaines familles.

« Il s’agit des communautés les plus vulnérables, les plus pauvres parmi les pauvres », explique Michael Musiime d’Avocats Sans Frontières, qui accompagne certaines familles à obtenir réparation. Si certaines tentent de réclamer des indemnisations adéquates, d’autres se voient traînés en justice. « L’affaire Attorney general vs Happy Ignatius, a été le tout premier cas d’expropriation où le gouvernement les a poursuivis en justice pour les obliger à prendre l’argent », explique-t-il. Une répression qui s’est intensifiée à mesure de l’avancée des projets dans la région. « Des habitants des villages de Kiina et de Kyabasambu ont été chassés sous la menace des armes et ne sont jamais revenus », rapportent les organisations.

La société civile ougandaise, qui persiste à dénoncer les violations des droits humains, paie également les frais de leur engagement. Depuis mai dernier, 81 défenseurs des droits ont été arrêtés. La répression s’est intensifiée, constate une militante de Friday For Future Ouganda, qui témoigne des tentatives d’intimidations et d’arrestations arbitraires. Préférant rester anonyme par crainte de représailles, elle raconte « des altercations violentes lors des manifestations ». Elle poursuit : « On nous traite d’antiprogressistes, mais nous ne cédons pas. Nous continuons à manifester dans les rues et avons également remis des pétitions à l’ambassade chinoise. »

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