Quand le minimalisme scandinave rencontre l’artisanat mexicain à Oaxaca

Oaxaca de Juárez est la capitale de l’État du Mexique portant le même nom. C’est aussi le chef-lieu de la région de Valles centrales. De l’héritage colonial, la ville a conservé moult caractéristiques architecturales, dont de robustes constructions de pierre et de stuc, relevées de détails ornementaux baroques, aux façades colorées - rose, jaune, turquoise - qui font sa renommée. Une douce ambiance provinciale, avec des rues paisibles, des sols pavés, des arbres en fleurs, participent de son attrait, la destination s’avérant un haut lieu touristique. Les tamales oaxaquenos, crêpes de maïs garnies de poulet, de légumes et de sauce pimentée, que l’on cuit enveloppées dans des feuilles de bananier, attisent le palais. Les yeux sont, eux, interpellés par la beauté des tissages traditionnels réalisés par des communautés indigènes.

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Trine Ellitsgaard dans la cour de sa maison, à Oaxaca de Juárez. Nin Solis
Dans l’atelier de Trine Ellitsgaard. Nin Solis
Une tapisserie de l’artiste orne le mur. Nin Solis
La salle à manger a été réalisée sur mesure. L’assise des chaises est en tissage de cuir. Nin Solis

Cet État demeure l’un des principaux et des plus anciens producteurs de textile en fibres de coton et de laine - une longue pratique remontant à la période préhispanique -, mais aussi d’agave, de yucca et de palmier. À ces matériaux locaux, l’artiste Trine Ellitsgaard mêle ramie, crin de cheval ou encore fibre de papier dans des compositions géométriques aux tons sourds. «Mon style est simple, minimal, j’aime mélanger différentes textures dans une même pièce, cela suscite un dialogue entre elles, assure la Scandinave. Lorsque je me suis installée au Mexique, j’ai rencontré beaucoup de tisserands, vu de nombreuses pièces, étudié leurs techniques. Les créations locales sont très riches dans leurs motifs et racontent presque toujours l’histoire du peuple qui les tisse ou renvoient à l’endroit d’où elles viennent. C’est pour moi une source d’inspiration… Mais leurs couleurs sont vives, les miennes non. Ma production découle plutôt d’un métissage entre la culture mexicaine et ma propre formation au Danemark, où j’ai été élevée

Sur le lit, un tissu du Chiapas tissé par l’association caritative Alta de Caminos. Au sol, des tapis artisanaux en palmier. Nin Solis
Dans la cour, des meubles fabriqués par un menuisier local. Nin Solis

L’intérêt occidental pour les textiles mexicains n’est certes pas nouveau. Dans les années 1930 déjà, les artistes germano-américains Josef et Anni Albers effectuèrent de nombreux voyages dans la région, fascinés par les grecas, ces rubans de motifs géométriques complexes, se déployant en mosaïques de pierre sur les hauts murs des sites archéologiques zapotèques comme sur des tapis mésoaméricains. Ces bâtiments, tissages et paysages inspirèrent à Anni Albers de nombreuses tentures murales. On retrouve également l’influence des motifs aztèques dans les peintures naïves, teintées d’idéalisme post-révolutionnaire, de Frida Kahlo. Internationalement reconnue pour son œuvre à l’approche moderniste, ses tissages flirtant parfois même avec la sculpture, Trine Ellitsgaard utilise un métier à tisser qu’elle a importé de Copenhague. «Je me suis établie à Oaxaca parce que mon mari (le peintre et sculpteur Francisco Toledo, NDLR) était d’ici. Nous avons décidé d’y installer notre vie de famille. L’endroit offre aussi beaucoup de possibilités de travail pour moi, grâce aux artisans et aux matériaux. J’y œuvre actuellement à une rétrospective de trente ans de mon travail, la plus importante à ce jour, qui aura lieu au Museo Franz Mayer de Mexico et débutera en février 2026

Le métier à tisser que l’artiste a transporté ici depuis son Danemark natal. Nin Solis
Au mur, une collection de peignes mexicains accrochés à côté d’un tissu péruvien ancien. Nin Solis

C’est dans une maison de ville articulée autour d’un patio paysagé, une construction au plafond rythmé de poutrelles métalliques, dotée d’une vaste baie vitrée en croisée laissant librement pénétrer la lumière, que vit et travaille l’artiste. «Mon atelier est situé dans le jardin derrière le bâtiment principal, mais j’utilise toute la maison dans le cadre de mon activité, car j’ai souvent plusieurs pièces simultanément en production. La grande table de la salle à manger est idéale pour travailler. L’atelier est certes plutôt un espace professionnel, mais mes enfants et mes amis y viennent également m’y tenir compagnie. À l’étage se trouve une chambre d’amis, beaucoup sont venus à Oaxaca y séjourner.» L’artiste évolue en cette sereine demeure à l’élégance intemporelle, conçue voici sept ans déjà par le collectif RootStudio. «Ce sont des gens qui respectent ma vision d’une maison simple et accueillante, qui ont les mêmes goûts esthétiques que moi

Le patio de la maison au sol pavé, havre de paix et de fraîcheur. Nin Solis
Dans la chambre, un lit mexicain ancien. Nin Solis

DES ESPACES LIBRES DE TOUTE FIORITURE

Agence basée à Oaxaca, RootStudio prône le développement de bâtiments durables, la volonté de restaurations respectueuses, découlant de techniques de construction traditionnelles. Fondé en 2009 par João Boto Cæiro et Fulvio Capurso, ce laboratoire architectural a pour objectif d’ériger des édifices contemporains basés sur la compréhension du contexte local, mêlant technologie d’aujourd’hui et méthodes vernaculaires. Parmi les projets phares de RootStudio, citons la Girl Move Academy, au Mozambique, consacrée à l’éducation des jeunes filles et au développement de projets d’économie circulaire. À leur actif également, les bibliothèques José F. Gómez et Gabriel López Chinas, le Centro Gastronómico d’Oaxaca et la distillerie Rancho Cebú de Tlacolula de Matamoros.

Au mur de la cuisine, une œuvre du peintre et sculpteur mexicain Francisco Toledo. Nin Solis

Des constructions tout en assemblage de tasseaux de bois et pierres brutes, afin de définir des espaces libres de toute fioriture. Pénétrer dans l’atelier de Trine Ellitsgaard, c’est se laisser emporter par la quiétude d’un lieu silencieux empreint de sérénité quasi ascétique, presque monacale. À l’extériorité du décor répond l’intériorité de l’artiste. «Certains meubles ont été fabriqués spécialement pour la maison par des artisans locaux, d’autres hérités de chez mes parents au Danemark, d’autres enfin ont été acquis au fil de notre vie commune avec mon mari.» Une fois tirée la porte de cet intérieur impassible, vous emporte le chaos de la rue, propre à l’exubérance du quotidien mexicain: les arômes des fleurs exotiques se mêlant aux gaz d’échappements, le chant des oiseaux ponctué de coups de marteaux-piqueurs et les couleurs vives des bâtiments coloniaux rehaussées de graffitis fluo. Cette beauté baroque qui vous sature et vous échauffe les sens, c’est le Mexique dans toute sa folle dynamique.