Antonin Ferreira est analyste financier et négociant au sein d’un fonds d’investissement. Il a été conseiller auprès du premier vice-président du Sénat et représentant étudiant au Conseil de Sciences Po Paris, dont il est diplômé en finance et stratégie.
Non, « les riches » ne paient pas moins d’impôts : ils financent déjà l’essentiel de l’impôt sur le revenu et une large part de notre modèle social. Les données fiscales les plus récentes montrent une concentration très forte de l’impôt sur le revenu (IR) en haut de la distribution : en 2022, le dernier décile (les 10 % les plus aisés) acquitte environ 74 % de la recette d’IR, et les 0,1 % les plus hauts revenus à eux seuls environ 22 % du total d’IR payé par ce dernier décile (soit 10,7 Md€).
Passer la publicitéLes publications de la DGFIP (Direction générale des finances publiques) confirment cette asymétrie : en 2022, les 10 % les plus aisés ont payé 15 300 € d’IR en moyenne quand les 10 % les plus modestes perçoivent un crédit d’impôt net (–32 €). C’est la définition même d’un impôt très concentré et progressif. Quant à l’idée popularisée par les promoteurs de la taxe que « les milliardaires paient un taux effectif inférieur au reste de la population », elle repose sur une mesure dite du « revenu économique » qui capitalise des plus-values latentes non réalisées (donc non taxées dans la plupart des systèmes fiscaux).
C’est un choix méthodologique contesté : l’IPP rappelle par exemple que, pour les très hauts patrimoines, l’impôt sur les sociétés devient la composante centrale de la fiscalité payée au niveau du groupe, ce qui complique fortement toute comparaison entre le « taux effectif des ménages » et le « reste de la population ». Autrement dit, comparer un taux qui inclut des gains non imposés à ce jour à des revenus effectivement taxés est une comparaison non symétrique.
Les estimations de Zucman et du NFP situent les recettes de la taxe entre 15 et 25 Md€. Or la dépense publique en 2024 s’élève à 1 670 Md€, pour un déficit de 169 Md€. Même 25 Md€, dans le meilleur des cas, ne représenteraient que 1,5 % de la dépense et 15 % du déficit. Plus important : plusieurs économistes (Aghion, Gollier, Taugourdeau, etc.) estiment que le rendement effectif serait bien inférieur au rendement mécanique en raison des ajustements comportementaux (optimisation, changement de résidence fiscale, arbitrages d’actifs). En appliquant les élasticités observées dans la littérature, ils concluent à 5 Md€ seulement de recettes, loin des montants annoncés.
Prélever 2 % du stock par an sur des actifs non monétaires et non réalisés est, de fait, une ponction du capital.
Antonin Ferreira
Certes, une note récente du Conseil d’analyse économique (CAE) juge que l’exil fiscal reste économiquement marginal pour des hausses ciblées ; mais précisément, si l’exil est limité, c’est aussi que les contribuables optimisent à l’intérieur du droit, ce qui réduit le rendement. Autrement dit : soit l’exil est faible (et l’optimisation réduit la base), soit l’exil est fort (et la base se dérobe). Dans les deux cas, les recettes de cette taxe seront très probablement en-deçà des promesses.
La start-up Mistral AI vient d’être valorisée 11,7 Md€ après une entrée d’ASML (Advanced Semiconductor Materials Lithography) à 11 % du capital. C’est une hausse spectaculaire… mais sur des titres non cotés et sans rentabilité publiée : la société est en hypercroissance, investit massivement mais n’a jamais dégagé de bénéfices. Les trois co-fondateurs (Arthur Mensch, Guillaume Lample, Timothée Lacroix) détiennent aujourd’hui environ 40% des parts de Mistral.
Imaginons qu’ils détiennent chacun une part égale : ils devraient débourser chaque année 31,2 millions d’euros pour payer cette taxe Zucman, liquidités qu’ils n’ont de toute évidence pas sur leur compte en banque. Ils seraient alors contraints de céder des parts pour payer cette taxe, sûrement à des fonds étrangers qui n’ont pas les mêmes contraintes fiscales que les Français. Ces montants sont annuels, exigibles en numéraire, alors que les actions sont illiquides et que l’entreprise n’est pas rentable à ce stade. Forcer des dirigeants fondateurs à vendre des titres pour payer une taxe sur valeur non réalisée dégrade la gouvernance fragilise un champion stratégique et renchérit son coût du capital.
En France, l’impôt doit respecter l’article 13 de la Déclaration de 1789 (égalité devant les charges publiques et « facultés » contributives) et l’article 17 (propriété). Le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence exigeant que la fiscalité ne soit ni disproportionnée ni confiscatoire.
Sur la non-confiscation, le Conseil a censuré des dispositifs symboliques (ex. la « taxe à 75 % »), et a admis le plafonnement de l’ISF/IFI précisément pour éviter une charge excessive par rapport au revenu (plafond à 75 % du revenu). Une taxe annuelle sur plus-values non réalisées qui excède les revenus disponibles du contribuable recrée le problème que le plafonnement visait à éviter.
Le même raisonnement vaut pour l’égalité : si l’assiette est la valorisation instantanée et volatile d’actifs non cotés, l’impôt peut frapper très différemment des contribuables aux situations de liquidité et de revenu courant incomparables, à taux facial identique - matière classique de censure pour rupture d’égalité.
Passer la publicitéEnfin, toucher chaque année le principal (et non un flux) s’apparente à une atteinte répétée à la propriété (DDHC art. 17), ce qui impose un intérêt général suffisant et une proportionnalité stricte. La Cour des comptes rappelle d’ailleurs l’exigence constitutionnelle d’une progressivité globale respectueuse des facultés contributives.
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Prélever 2 % du stock par an sur des actifs non monétaires et non réalisés est, de fait, une ponction du capital. Si le rendement courant (dividendes, salaires, intérêts nets) est inférieur à 2 % après impôts, le contribuable doit vendre. Sur une décennie, 2 %/an correspondent à 18 % du capital (hors effets de marché) : c’est un prélèvement massif.
La base taxable dépend de valorisations privées (et parfois volatiles) d’entreprises non cotées. Deux entrepreneurs identiques, mais à des tours de table différents, paieront des montants sans rapport avec leurs liquidités.
Anti-investissement : dans les secteurs intensifs en capital (IA, climat, biotechs), on finance des pertes pour accumuler des actifs immatériels. Taxer la valeur latente décourage l’ancrage en France de ces projets pour un rendement public incertain.
Sur le plan moral, l’idée qu’un État puisse prélever chaque année sur ce qui n’a pas été gagné (ou réalisé), sur la base de simples valorisations, heurte un principe de justice fiscale élémentaire : on taxe les flux, pas la promesse d’un flux. C’est aussi ignorer que les hauts revenus surfinancent déjà une partie significative de notre modèle social.