Jila Mossaed, poétesse iranienne en exil et prestigieuse académicienne suédoise

Jila Mossaed avait 38 ans lorsqu'elle a fui l'Iran pour la Suède en 1986, ne parlant pas un mot de suédois. Trois décennies plus tard, elle devient la première étrangère à intégrer l’Académie suédoise, qui décerne chaque année le prix Nobel de littérature. Si elle écrit aujourd'hui autant en farsi qu'en suédois, Jila Mossaed a dû batailler pendant des années pour apprendre la langue scandinave. Elle bute encore sur la prononciation et doit prendre son temps pour réfléchir à la grammaire, explique-t-elle à l'AFP dans les couloirs de l'Académie, fondée en 1786 par le roi Gustave III pour promouvoir la littérature et la langue suédoises. 

La poétesse de 76 ans, dont l'œuvre explore la vie, la mort, la politique, l'amour, l'exil et la nature, n'avait jamais pensé rejoindre la vénérable Académie, un honneur qui lui a été conféré en 2018. Les 18 membres de l'Académie suédoise sont nommés à vie. « C'est un honneur incroyable. J'en suis très fière », dit-elle, le regard rayonnant. Avec le farsi, « je porte en moi une riche et ancienne langue, parlée par 300 millions de personnes »
Et faire découvrir « une littérature inconnue et la présenter ici est une contribution intéressante et importante », a-t-elle dit avec fierté. 

En 1986, sa vie est bouleversée: l'un de ses recueils de poèmes fait l'objet de critiques « très menaçantes et humiliantes » de la part du pouvoir iranien. 
Tout à coup, « des soldats débarquent chez moi, armés, et s'en vont avec mes affaires », se souvient-elle. Elle est ensuite convoquée et interrogée par le bureau de la censure. « Lorsque je suis sortie de là, je me suis dit : “ Ce n'est plus mon pays  ». Elle décide de prendre la fuite avec ses deux jeunes enfants. « Je n'avais aucun plan. Je ne savais pas ce que cela signifiait que d'être une réfugiée, ni dans quel pays je finirais par me retrouver », raconte-t-elle. Un passeur lui dit que la Suède et le Danemark sont les pays les plus accessibles. La femme de lettres connaissant Ingmar Bergman, August Strindberg et Fifi Brindacier, elle choisit la Suède. 

Une œuvre en suédois

Les deux premières années, elle ne parle qu'en anglais et n'achète pas de rideaux, pensant n'être que de passage. Finalement, « j'ai compris que je devais apprendre la langue. C'était difficile », admet-elle dans un suédois courant teinté d'un accent iranien. 

Lorsqu'elle a commencé à écrire en suédois, «c'était comme s'il y avait un corps à côté de moi sur lequel était écrit farsi». « “Je vais mourir ” disait ce corps, haletant. Je lui ai dit “ Non, ne meurs pas. Je continuerai à écrire en farsi, je ne t'oublierai pas  », raconte-t-elle. Après 10 ans et 13 poèmes suédois à son compte, elle prend conscience qu'elle a « quitté son berceau » et que « le Nord serait sa tombe »

Jila Mossaed a publié 10 recueils de poésie en suédois depuis son premier ouvrage paru en 1997, « Månen och den eviga kon » (La lune et l'éternelle vache, non traduit en français). Pourtant, elle insiste: « Je ne suis pas très bonne en suédois ». Plutôt que de s'attarder sur les détails, elle souhaite approcher «l'âme de cette langue», qu'elle associe à la « tranquillité », « le silence » et « la nature ». « J'apprécie le fait que les gens ici ne se prennent pas la tête avec des choses comme la religion », note-t-elle encore. 

Une inspiration plus libre

Son écriture a changé en Suède. En Iran, «nous avons l'habitude de subir la pression des mollahs, de la religion et des rois, et nous avons toujours trouvé un moyen d'écrire autour de cela». Elle affirme sans détour: «Je n'ai pas envie de faire ça en Suède, je veux être directe. J'aime la vérité.»

Ses poèmes suédois sont «plus courageux politiquement» et la langue qu'elle y déploie est dénuée de fioritures, analyse-t-elle. Quand elle écrit en farsi, c'est l'inverse: «c'est comme si je plongeais dans un océan de mots». En suédois, «c'est comme si je me tenais au bord d'une piscine». «Je suis heureuse que la simplicité m'ait donné plus de liberté. Et ça plaît aux critiques!», se réjouit-elle dans un éclat de rire. Née au sein d'une famille non religieuse, Jila Mossaed est aujourd'hui ouvertement critique vis-à-vis du régime iranien, qu'elle qualifie de «brutal». «Je suis heureuse que les gens comprennent maintenant ce que signifie l'islam au pouvoir», lance-t-elle. «Ils tuent, exécutent, humilient et fouettent les femmes»

La fin du régime actuel approche, estime Jila Mossaed. Grâce aux Iraniens eux-mêmes, qui « osent critiquer et poser des questions ». Cependant, le coût pour y parvenir sera élevé, juge-t-elle : « Cela prendra du temps et ce sera sanglant. Les gens paieront le prix fort »

Avant de déménager à Göteborg, l'Iranienne naturalisée suédoise a longtemps vécu à Värmland. À défaut de nouer des liens avec les Suédois, distants de prime abord, elle a appris à chérir la forêt. En se promenant dans les bois, elle tendait sa main vers les branches des arbres. « Parfois, je me dis que j'ai été acceptée par la forêt avant de l'être par les gens », conclut-elle, philosophe.